L’AVIS DU LIBRAIRE

 

« Le nazisme et l'antisémitisme m’ont toujours paru le mal pur contre lequel nous étions mal défendus »

BLANCHOT (Maurice)

Correspondance adressée à Maurice Nadeau

de fin 1959 au début des années 1990

37 LAS au format in-8 formant un total de 44 pp. et un télégramme, 17 enveloppes conservées

Importante correspondance adressée à Maurice Nadeau, composée de 37 lettres autographes signées et d’un télégramme, s'échelonnant de 1959 au début des années 1990 témoignant de leur sympathie mutuelle et de leur amitié nouée au début des années 60, des collaborations et soutiens en faveur des Lettres Nouvelles et de la Quinzaine Littéraire, du Prix des Critiques dont Nadeau et Blanchot furent membres du jury.

Y sont évoqués Jean-Paul Sartre, Georges Bataille, Edmond Jabès, Dionys Mascolo, Marguerite Duras, Louis-René des Forêts et des évènements marquants du monde éditorial ou politique (Le Manifeste des 121 (dont Blanchot est le principal rédacteur avec Mascolo et Nadeau), la chute du président chilien Allende, etc.).

Quatre lettres de 1962 et 1963 concernent le projet avorté de revue internationale imaginée avec des écrivains italiens et allemands suite à la Déclaration des 121, qui devait remplacer les Temps modernes et les Lettres Nouvelles.

En avril 1977, en réponse à un article lui étant consacré dans la Quinzaine Littéraire, Maurice Blanchot adresse une très importante lettre (cf. LAS 26 ci-dessous) retraçant l'historique de sa jeunesse et des années d'occupation. Une lettre envoyée quelques jours plus tard demande de ne pas divulguer ces informations confidentielles.

En conclusion du chapitre de Grâces leur soient rendues (Albin Michel, 1990) qu'il consacre à Maurice Blanchot, Maurice Nadeau, témoigne : "Il n'est ni l'homme des déjeuners en ville ni même des tête-à-tête, mais sa vigilance n'est jamais en défaut, tant à l'occasion d'évènements publics, de malheurs, qui frappent nos amis, de mon deuil et de mes propres incidents de parcours. Cette amitié m'est trop précieuse pour que je me sente le droit d'en dire davantage".


1. LAS du 11 février [1959] : "J'ai toujours eu de la sympathie pour les Lettres Nouvelles, leurs rapports vivants à la littérature, la fermeté, quand il le fallait, du jugement politique, et je serais heureux d'y montrer cette sympathie en y collaborant. L'idée d'une concurrence avec la nrf ne m'était pas apparue et, en tout cas, ne m'aurait pas gêné. C'est plutôt des décisions personnelles qui me mettent dans un certain embarras. En deux mots : ayant jugé nécessaire de me donner, pour d'autres travaux, un espace libre de pensée, j'ai obtenu très amicalement de la nrf cette plus grande liberté. J'éprouverais donc quelques scrupules à paraître. Je n'avais obtenu du temps libre que pour le consacrer à d'autres publications plutôt qu'à moi-même. Peut-être donc, un peu plus tard, quand ce nouveau régime de collaboration sera devenu habituel. Mais sur le principe je vous réponds : très volontiers. Avec mes sentiments d'amitié. Maurice Blanchot. Ne pensez-vous pas que par le changement de rythme, les Lettres Nouvelles seront amenées à prendre plus de part à la réalité politique ? Ce n'est pas une crainte que j'exprime ici - tout au contraire. L'avenir, vous le jugez sans doute comme moi, ne nous laissera pas en paix".

2. LAS du 17 septembre [1959?]: "J'ai rencontré Geneviève Serreau et je ne sais si elle a senti combien j'en étais heureux [...] Ne m'en veuillez pas si vous recevez "mon" livre - toujours des livres - anonymement. L'anonymat est presque mon nom".

3. LAS du 26 décembre [1960], enveloppe, faisant suite au Manifeste des 121, rédigé par Mascolo et Blanchot et que Sartre avait signé en septembre 1960 : "Pardonnez moi de vous écrire tardivement [...] Je suis d'accord avec vous pour penser qu'une exigence se fait jour à laquelle nous devons essayer de répondre. Comment ? Il faut nous interroger les uns les autres et mettre en commun nos raisons et nos expériences. Le silence de Sartre, s'il ne nous dégage pas de toute imitation, nous oblige à être encore plus exigeant, à la fois parce que l'absence de ce qu'il représente doit être compensée et parce qu'il ne faudrait pas qu'à notre tour nous acceptions les facilités dont il semble n'avoir pas voulu se priver. Voyons cela ensemble, bientôt. Et souhaitons-nous une année qui soit vraiment nouvelle : elle le sera, je crois, par les évènements; qu'elle le soit donc aussi par notre façon d'y répondre".

4. LAS s.d. [début 1960], à propos de la fin de la formule hebdomadaire des L.N., du jury du Prix des Critiques et de Roger Laporte [Nadeau l'éditera dans le numéro d'octobre 1960 consacré aux "Jeunes écrivains français"] : "Roger Laporte me demande de vous transmettre ce texte pour les Lettres Nouvelles : je le fais très volontiers. R. Laporte est un jeune écrivain, ami de René Char (et le mien) qui a notamment publié dans Botteghe oscure un court récit intitulé Une migration. Il est certainement destiné à écrire et il a besoin intellectuellement d'art, mais vous sentirez quelles sont ses difficultés. [...] Après le 1er janvier, je voulais vous dire combien je regrettais la disparition de la formule hebdomadaire. Vous l'aviez rendue très attirante et je l'aimais beaucoup. Tenez bon, sous une forme ou sous une autre. Je pense que vous avez appris la décision d'Emile Henriot : avec Gabriel Marcel et H. Clouard, il se retire du Prix des Critiques, la mort de R. Kemp ayant achevé de rompre l'équilibre de ce mauvais jury dont la majorité terroriste est désormais assurée de l'emporter toujours. Voilà un important problème; Nous pouvons rester tels que nous sommes [...]".

5. LAS du 31 août [début des années 1960?] : "Combien j'ai été touché par les signes d'amitié que vous m'avez faits, il faut bien que je vous le dise un jour, brisant le silence. Je pense à vous très souvent, si à l'écart que je vive. Je voudrais marquer combien j'apprécie le travail de la Quinzaine, et l'intérêt qu'il y a à voir ce travail se poursuivre. Il y a quelques temps j'ai écrit un petit texte sur les "Cahiers" de Paul Valéry [...]".

6. LAS du 30 juillet [1962] : « Le 30 juillet / Cher Maurice Nadeau, Georges Bataille a été pour moi pendant plus de vingt ans un ami très proche, et je vois que pour lui aussi j'étais un proche ami. Quelque chose d'essentiel nous liait. Parler de cet ami, de l'homme qu'il fut, m'est donc presque impossible. Cependant, j'essaierai de ne pas manquer à ce que, par amitié aussi, vous me demandez. Affectueusement Maurice Blanchot ».

7. LAS du 29 août 1962 : "Cher ami, Pardonnez-moi de n'avoir pu répondre à ce que vous me demandiez autrement que par ce texte indirect. Je puis vous assurer que j'ai fait mon possible. J'ai été heureux d'avoir de vos nouvelles. Dionys a été sérieusement fatigué pendant les vacances et particulièrement ces derniers jours. J'en suis les soucis. Mais il sera à Paris bientôt. L. R. des Forêts a reçu une longue lettre d'Uwe Johnson. Elle est tout à fait positive. Les Allemands ont constitué leur comité (7 membres, Sührkamp ?), et ils nous proposent de nous rencontrer à Zurich le 15 décembre pour que soient signé les contrats avec les éditeurs et discuter des problèmes en litige. Bien plus, ils pensent pouvoir nous apporter à cette date les textes allemands pour les premier et second numéros et souhaitent que nous apportions les nôtres. La revue dans ces conditions paraîtrait en juin. Cet esprit de décision ne nous permet plus d'atermoyer. Actuellement les Gallimard sont encore en vacances. À bientôt cher Maurice Nadeau. Je pense à vous très amicalement, Maurice".

8. LAS datée dimanche [1962-1963]: "Cher Maurice Nadeau, Aussi simplement que je le puis, je voudrais vous dire combien j'ai été touché, combien chacun de nous l’a été, par la proposition que vous nous avez faite, car nous avons compris quelle part de vous-même vous y avez mise et avec quelle spontanéité. J'ajoute (même si je m'exprime ici sans mandat) que nous sommes tous conscients des avantages qu'elle représente, face aux difficultés où nous sommes, et que nous y serions encore plus sensibles, si nous ne voyions pas le sacrifice qu'elle représente aussi pour vous. De toutes manières, Il faut maintenant que nous parvenions dans le plus bref délai à une solution. Si l'incertitude ne prend pas fin, nous risquons de ruiner définitivement l'entreprise commune, jusqu'à en effacer le sens que nous cherchons à lui donner : signification que je continue à tenir pour essentielle. A vous, avec ma vive d'amitié Maurice".

9. LAS : « Jeudi [1962-1963] / Cher Maurice Nadeau, Pardonnez-moi de vous écrire encore, alors que nous devons nous voir demain. J'ai été mis au courant des manoeuvres qui se préparent. Je crois que nous ne devons pas avoir d'illusions sur la brutalité dont les Gallimard sont capables et sur les moyens d'action qu'ils peuvent déployer: pressions bancaires, mensonges, tentations et promesses. La publication de la revue chez Julliard est ce genre de défaite que Claude G. n'acceptera sans tout essayer pour l'empêcher et miner l'entreprise. Il est donc indispensable que Bourgois soit parfaitement averti et assuré contre ce qui l'attend. Mais il est indispensable aussi que la situation apparaisse comme irréversible, c'est-à-dire que sous une forme ou sous une autre un accord contractuel précise l'engagementd Julliard quant à la publication de cette revue. Les lettres écrites à Sührkamp et à Einaudi sont un premier élément de certitude. Ne serait-il pas possible qu'entre vous et Bourgois un échange de lettres confirme dès maintenant, pour le côté français, les assurances données et les engagements pris, en attendant que la constitution de la société civile (qu'il faudrait hâter) leur donne une forme définitive ? Ce n'est par méfiance, certes. Mais il faut que Bourgois puisse répondre à sesi interlocuteurs : "j'ai signé un accord, les éditions Julliard se sont engagées aussi bien à l'égard des groupes étrangers qu'à l'égard du groupe français". Pardonnez-moi ces suggestions. Naturellement, c'est à vous de décider de ce qui est psychologiquement et pratiquement le mieux. Je dois vous dire combien je suis heureux, ainsi que tous nos amis, de voir enfin assurée l'infrastructure de notre entreprise et, aussi, d'être délivré du cauchemar Galliamard. C'est pourquoi il ne faut pas lui faire reprendre réalité et puissance. Avec toute mon amitié Maurice Blanchot ».

10. LAS du 26 janvier [1963] : "Cher Maurice Nadeau, J'ai réfléchi que je ne pouvais pas parler au nom du groupe français dans son entier, ne fût-ce que parce que je ne pouvais consulter Michel Leiris. D'autre part, cette lettre ne fait que poursuivre le débat de Zurich, et c'est aux membres du groupe présent dans cette ville qui seuls ont pu juger directement de ce qui se passait, que je puis demander les accords. Je ne peux pas non plus écrire en mon seul nom personnel, puisque plusieurs de nos amis jugent soit utiles soit nécessaires les réflexions que je propose. Je souhaite naturellement que vous puissiez vous y associer. Mais je trouverais légitime, aussi, que vous désiriez vous entretenir à distance. Dans la nouvelle version de ma lettre que je vous envoie, au cas où vous continueriez à faire des réserves sur mon texte, il serait facile, au premier paragraphe, d'introduire, après les mots "présents à Z.", une petite parenthèse comme par exemple ainsi ("à l'exception de Maurice Nadeau qui vous écrira lui-même d'autre part" ou tout autre formule que vous préférez). Il n'y a pas à mon sens grand inconvénient à ce que U. J [Uwe Johnson] sache qu'il y a plusieurs tendances dans notre groupe, cela lui permettrait de corriger l'idée grossière que les allemands se font de l'homogénéité de ce groupe. Vous verrez que j'ai révisé le texte en l'impersonnalisant, y retirant certaines phrases inutilement fortes et en essayant de cerner de plus près la vérité. Voulez-vous me dire votre sentiment, peut-être en me téléphonant ? L'avis commun est qu'il faudrait que la lettre fut envoyée, traduite en allemand, avant la fin de la semaine, puisqu'il y est question de tâches à accomplir pour le 15 février, date qui approche dangereusement. Et, pour cette traduction en allemand qui s'impose, plutôt qu'en anglais sera-t-il possible de la faire faire rapidement ? Dites le moi aussi, si vous voulez bien. Ah, certes, les difficultés qui me rebuteraient, à condition toutefois que celles-ci soient importantes et à la mesure même de ce qu'il y a d'important dans notre entreprise. A vous très amicalement. Maurice. [...]".

11. LAS datée mardi [mars 1963] à propos du dixième anniversaire des L.N. et de « Volontaires pour l'échafaud » publié par Nadeau chez Julliard en 1963 : "J'espérais vous voir demain, mais je crains qu'un retour de grippe provoqué par ce retour d'hiver ne m'empêche de m'associer à cet anniversaire et de vous saluer affectueusement [...] J'ai lu le livre de Savarius []. Expérience terrible. Comme nous oublions tout."

Télégramme du 28 mars 1963 : "Voulez-vous exprimer regrets à Bourgoin [Bourgois] et aux amis de ne pouvoir être présent demain. Amitié."

12. LAS du [10 mars 1964], enveloppe : "Je veux seulement vous dire (le moment n'est pas plus opportun qu'un autre ; à peine est-il plus pressant) ma sympathie, mon accord, mon amitié. Nous avons toujours été proches l'un de l'autre dans les circonstances importantes, et je n'ai cessé de sentir entre nous comme une entente si discrète qu'elle n'avait pas toujours besoin de s'exprimer. Il me semble qu'elle se poursuivra, même si l'un ou l'autre n'est plus là pour le confirmer. Avec toute mon affection, Maurice Blanchot".

13. LAS du 3 décembre [1964] : "Durant tout l'été, je voulais vous écrire, d'abord parce que la décision de Julliard [fin de Lettres Nouvelles chez Julliard] m'avait consterné; ajoutant quelque chose de sombre à mes pensées qui l'étaient déjà, puis pour m'associer à la satisfaction de toutes vos amis; quand j'ai appris que votre entreprise était sauvée : c'était comme si une voie restait ouverte, un espoir de liberté maintenu. Mais vous saurez que j'ai été aux prises avec des difficultés, peut-être inévitables, peut-être dérisoires, en tout cas destructives, et qui me laissent démuni et silencieux. Et vous savez aussi tout ce qu'il est arrivé de malheureux, le malheur même - coup sur coup à des amis très proches. […] Du moins, soyez sûr que je ne vous oublie pas et que je pense à vous très fidèlement. J'ai appris cela : que la tristesse peut tout obscurcir; sauf l'amitié. Maurice Blanchot".

14. LAS du 15 décembre [milieu des années 1960] : "Croyez-vous qu'un nouveau prix, même décerné avec plus de hardiesse suffira à corriger la mauvaise qualité des prix ? Nous savons tous que ce phénomène n'est pas fortuit, et que l'institution des prix explique leur nullité, mais que cette institution elle-même dépend de la structure de la vie littéraire actuelle. Les noms que vous citez sont ceux d'écrivains que j'estime le plus et, pour cette raison, je ne voudrais pas me refuser à leur initiative, bien que, en dehors du Prix des Critiques et, jadis, du Prix de la Pléiade, je me suis toujours obstinément tenu à l'écart de ces manifestations. Il y a peut-être quelque chose à faire pour essayer de montrer que les véritables force et affirmation littéraires ne passent pas par l'organisation des prix et des livres qu'en général ces prix mettent en valeur. C'est ce qu'il faudrait chercher. Ce qui est très fâcheux dans un prix, c'est qu'il désigne un livre à l'exclusion d'autres par une promotion trompeuse; c'est aussi qu'il doive le désigner à un public qui ne s'y intéressera que si le jury, pour des raisons extra littéraires, a acquis auprès de lui une influence suffisante. La vérité des prix voudrait donc que ce soit un jury d'académiciens rétrogrades qui choisissent et imposent l'œuvre la plus hardie et la plus étrangère à l'attente habituelle. En ce sens, naturellement, tout le malheur des prix vient du Goncourt. Je vous écris cela hâtivement, sans intention négative, Vous le sentez bien. Avec mes amitiés. Maurice Blanchot. Je regrette toujours de ne pas recevoir les Lettres Nouvelles, que j'aime lire cependant".

15. LAS du 30 décembre [1969] : "Vous savez combien Jabès m'est proche, m'est cher, proximité silencieuse qu'il m'est bien difficile de rompre. Peut-être cela arrivera-t-il, et bien sûr c'est à la Quinzaine que je penserai alors. Mais je ne voudrais pas qu'en attendant cette possibilité incertaine, vos lecteurs soient privés d'un texte sur "le dernier livre". Je pense à vous fidèlement, et je vous dis toute mon amitié. Maurice Blanchot".

16. LAS du 27 janvier [1970] à propos de l'article "Table rase" de Maurice Nadeau sur L'entretien infini" : "Cher Maurice Nadeau, puisqu'il m’a été possible de vous lire en lecteur désintéressé et presque anonyme, il m’est aussi permis de vous dire, sans trop d'indiscrétion, combien l'article que vous avez consacré à ce livre, m'a aidé à le supporter et même à m'en rendre proche (j'ai hésité longtemps avant d’accepter de la publicité). Soyez sûr de ma vie de l'affection. Maurice Blanchot".

17. LAS s.d. [circa 1970] : " Cher Maurice Nadeau, Je m'en remets à vous (vous le savez). Par votre choix, je serai heureux de participer à cet hommage, et aussi à la Quinzaine. Je me rétablis lentement ; cependant sans péripéties. Moi aussi, j'espère que nous pourrons nous revoir bientôt, et savoir comment vont les choses pour vous. La situation politique est très lourde : même de loin, cela me préoccupe beaucoup. A vous très affectueusement. Maurice Blanchot".

18. LAS du [24 avril 1970], enveloppe : "Je trouve le livre de Marguerite [Duras, Abahn Sabana David] un des plus beaux qu'elle ait écrit, un discours sublime et presque constamment silencieux sur l'innocence, ce rapport d'innocence qu'elle confie à l'avenir; C'est vous dire combien je me sens incapable d'en parler. Mais que vous ayez pensé à moi, par la médiation de l'amitié, m'a fait plaisir. Je vous en remercie. Un jour, peut-être... Avec ma fidèle affection. Maurice Blanchot".

19. LAS du [19 mai 1970], enveloppe : "Votre mot et votre appel me sont parvenus je crois, au moment où un violent, soudain et énigmatique accès de fièvre me réduisait à peu de chose. Je commence à en sortir, comme on sort de l'irréel par l'irréel. Mais je ne veux pas tarder davantage à vous répondre. Si je le puis, et quelle que soit ma réticence à parler de Georges Bataille, alors que - et à bien des égards je m'en réjouis - tant de paroles déjà lui sont consacrées, j'essaierai d'écrire un petit texte. Si je le puis, mais quand ? Voilà ce que je ne suis pas encore capable de pressentir. Du moins, voyez dans ce mot l'expression de mon fidèle attachement, Maurice Blanchot".

20. LAS s.d. [1er juin 1970], enveloppe, à propos du Prix des Critiques qui fut attribué à Edmond Jabès pour Elya : Cher Maurice Nadeau, Je sais qu'Edmond Jabès (dont sûrement on apprécie l'oeuvre si peu connue) serait heureux de recevoir le Prix des Critiques. Si je m'adresse à vous pour vous demander de penser à lui, j'ai certes l'impression de commettre une indiscrétion, mais si je passe outre cependant, c'est que les sentiments d'amitié qui nous unissent et aussi le souvenir que, durant le temps où nous étions ensemble dans le jury, nous avons presque toujours fait le même choix (rappelez vous notre première lettre pour le premier livre de Beckett), me font penser que, grâce à vous, je suis encore un peu là-bas. Pardonnez-moi et en toute affection, Maurice Blanchot".

21. LAS du 17 décembre 1970 à propos de l'article "Contre les idéologies de la mauvaise conscience (concernant des positions de Sartre et de Pingaud)" de Dionys Mascolo : "Cher Maurice Nadeau, merci pour ce que je ressens comme un signe d'amitié. Votre manière discrète de me dire que vous pensez à moi, me touche beaucoup. J'ai été heureux aussi de lire dans la Quinzaine le texte de Dionys (que je ne connaissais pas). Il me semble qu'il a été notre interprète tous. A vous, très affectueusement. Maurice Blanchot".

22. LAS du 5 décembre [1973?] : "Certainement, cela est, parmi les plus belles choses, l'une des plus belles, et d'un ton si insolite, d'une jubilation si altière qu'il est impossible de ne pas avoir le coeur serré et l'esprit étouffé en pensant à la suite comme à une vengeance. A l'unisson de vagues qui tambourinent une mort, vais-je dénoncer la pure malignité de la mer ? Et dans une mémoire souffrante qu'est mon seul aveu je cherche [?] où l'enfant que je fus a laissé son empreinte. Pardonnez-moi, mais je me sens comme à jamais silencieux devant ce texte, incapable non seulement d'en parler (cela ne serait qu'une incapacité parmi d'autres), mais plus encore de le séparer du malheur d'un ami. Puis-je vous suggérer (pour tempérer un peu mon regret) de vous adresser à Jacques Dupin, qui est le poète que vous savez et aussi un être exquis; capable d'une très belle prose ? Si vous n'avez pas avec lui de rapports particuliers, je crois que vous pourrez me nommer ; son adresse 7bis place du Président Mithouard, Paris VII. Il y a aussi, bien sûr, Yves Bonnefoy avec qui Louis-René est très lié, mais je le connais plus impersonnellement. Je n'irai pas à Cuba, là aussi, regret, sentiment peu heureux [...]".

23. LAS du [21 décembre 1973], à propos du décès d'Allende et de son dernier livre "Le Pas au-delà" que Nadeau chroniqua dans le n°173 de la Quinzaine Littéraire daté du 16 octobre 1973 : "Je suis tout à fait abattu par la fin d'Allende. C'est, pour nous tous, n'est-ce pas, comme un deuil personnel. C'est comme si l'on s'acharnait à détruire nos dernières espérances. Merci, pour votre affection, j'en ai besoin. Pour mon livre, et si vous désirez en publier un extrait je m'en remets à votre décision, à votre choix. Avec toute mon amitié. Maurice Blanchot".

24. LAS s.d. [probablement décembre 1973] : "Oui, bien sûr, pour Valery". J'espère que l'année qui vient ne sera pas trop difficile pour vous. Pourtant tout est sombre. Le Chili, le Proche-Orient, la Grèce. On vit dans un sentiment angoissé, effrayé.

25. LAS [23 février 1977] : "Pardon de mal répondre à ce que vous demandez. Je suis souffrant en ce moment. Je ne puis vous exprimer que mon amitié, sachant que la vôtre m'accompagnera jusqu'à la fin. Maurice Blanchot. Je me rappelle que dans "L'Amitié" (page 180), j'ai fait allusion au problème que vous soulevez. Je cite la première phrase : "la littérature est peut-être essentiellement (je ne dis pas uniquement ni manifestement) pouvoir de contestation : contestation du pouvoir établi, contestation de ce qui est (et du fait d'être), contestation du langage et des formes du langage littéraire, enfin contestation d'elle même comme pouvoir etc."; Et la suite (peut-être) si vous la retrouvez. Cela surtout pour dire ma solidarité à la "Quinzaine". A vous encore, de tout coeur M.B.".

26. LAS du 17 avril 1977, enveloppe datée du lendemain à propos de sa jeunesse et l'Occupation : "Cher Maurice Nadeau, Je suis toujours très souffrant, et je ne puis vous écrire que quelques mots maladroits : cela au sujet de la note parue dans la Quinzaine et concernant "Gramme". Il va de soi que je vous écris à titre d'amitié et que je ne demande aucune rectification - au contraire, un écrivain doit être exposé à tous vents et laisser dire ce que l'on croit devoir dire. Mais, à un ami, pour un ami, les choses vont différemment. Les auteurs de l'article, par ignorance, ont méconnu la situation. Je ne citerai que quelques faits. Le premier, symbolique, est non seulement le désaccord, mais l'inimitié allant jusqu'à la haine qui m'a tenu à l'écart de Brasillach qui représentait l'essence du fascisme et de l'antisémitisme. Durant l'occupation, c'est "Je suis partout" dont Brasillach était directeur (je ne l'accuse pas directement, n'ayant là aucune certitude) qui me dénonça à la Gestapo, dénonciation qui faillit m'être fatale. Le deuxième fait est que je me tins toujours à distance de l'Action Française pour tout ce qu'elle symbolisait. Le troisième fait est que j'intervins (avec l'aide de Thierry Maulnier, alors un tout autre personnage que celui qu'il est devenu) pour faire disparaître l'Insurgé, dès que celui-ci laisse paraître un article teinté d'antisémitisme. Je ne défendrai pas les textes que j'ai pu alors faire paraître. Il n'est pas douteux que j'ai changé. Autant qu'il me semble, j'ai changé sous l'influence de l'écriture (écrivant alors Thomas l'obscur et Aminabad) et aussi par la connaissance des événements (je collaborais alors à un journal dirigé par un juif et nous recevions beaucoup d'immigrés juifs allemands). Le nazisme et l'antisémitisme m’ont toujours paru le mal pur contre lequel nous étions mal défendus. Au moment de l'effondrement, j'assistais à la séance de l'Assemblée Nationale par laquelle celle-ci remit ses pouvoirs à Pétain, dans la bassesse et la servitude (Herriot lui-même prononça des paroles abjectes). Je vis alors l'Europe et peut-être le monde soumis au pire. Ma résolution fut immédiate. Quoi qu'il pût arriver, Notre devoir était d'entretenir en France des foyers de résistance, au moins intellectuelle. C'est pourquoi je refusai de partir pour Londres comme on me l'avait offert. De là, ma rencontre avec Georges Bataille, et une activité clandestine dont je n'ai jamais parlé et dont je ne parlerai pas. Mais le sentiment d'horreur ne m'a pas quitté. Ce qui me paraît donc injuste dans le commentaire de la Quinzaine, ce sont les mots "On présente en connaissance de cause toutes les données" c'est le contraire qu’il faudrait dire. Mais je le répète: je ne demande aucune rectification. Je m'adresse à un ami pour lui confier ce qui me semble vrai et pour qu'il puisse porter témoignage, s’il le juge bon, [quand?] j'aurai disparu. À vous, Maurice Nadeau, avec ma fidèle affection Maurice Blanchot".

27. LAS 21 avril 1977 : "Cher Maurice Nadeau, Au cas où ma lettre écrite hâtivement n'aurait pas été assez explicite, laissez-moi insister pour qu'elle reste silencieusement en vous et qu'il n'en soit fait état en aucune manière. Elle ne s'adresse qu'à l'amitié. Avec mon affection. Maurice Blanchot".

28. LAS 10 février 1981 : "Cher Maurice Nadeau, Je pensais vous dire combien j'avais été touché et, tourmenté par tout ce que vous avez fait pour empêcher que ne disparaisse ce livre dernier, appelé par un silence peut-être définitif. Mais j'apprends aussi les soucis que vous a donné la santé de Marthe (je me rappelle avoir été avec elle pour voir un film sur Guevara). C'est donc à l'amitié - une si longue si sûre amitié - que je fais appel pour vous dire combien je pense à vous, comme je me sens près de vous, dans ce lointain Mesnil où je garde présent tout ce que je dois à tous. À vous, de tout cœur. Maurice Blanchot".

29. LAS 7 mars 1983 : "Chers amis, Je serais heureux de faire partie de l'association culturelle des Amis de la Quinzaine, heureux de pouvoir témoigner ainsi de l'intérêt que je porte la Quinzaine Littéraire, à celui qui la dirige (mon ami de toujours) et à tous ceux qui s'y dévouent avec un désintéressement efficace qui rend confiance en l'avenir de la littérature. Le numéro sur Joyce [n°385 du 1er janvier 1981] m'a paru particulièrement remarquable, et l'article de Maurice Nadeau sur le livre d'un nouveau venu (Vieux cheval de retour) dans la maison Gallimard, a été singulièrement bien accueilli, dans cette maison même et au plus haut niveau. Avec tous mes souhaits et mes sentiments d'amitié. Maurice Blanchot".

30. LAS 3 novembre 1983 : "Cher Maurice Nadeau, Bien entendu, pour ma minime contribution, je préfère devenir actionnaire de la Selis, et je suis toujours prêt, si besoin était, à participer à une nouvelle augmentation de capital de la Selis. L'existence indépendante de la Quinzaine nous est, à beaucoup d'entre nous, indispensable. Je ne sais si vous savez que, depuis plus de cinq mois, la santé de Robert Antelme nous accable d'inquiétude et nous rend la vie très difficile. Comment une pareille chose est-elle survenue à un ami si exceptionnel, un être aussi exceptionnel ? A vous fidèlement. Maurice Blanchot".

31. LAS du 9 décembre 1984, lettre de condoléance suite au décès de Marthe : "Cher Maurice Nadeau, Sans intervenir indiscrètement dans votre chagrin, laissez-moi vous dire combien j'y prends part et comme cette douleur nous est commune, s'ajoutant à tout ce que nous avons à supporter de douloureux. Robert à qui Monique a dit ce qui était arrivé, a murmuré : c'est trop, c'est vraiment trop, nous n'échapperons pas au malheur. Récemment, il a confié à un ami : ce qui me chagrine, c'est que je sens que diminue en moi la mémoire affective. Mais qu’il le dise et qu'il en soit chagriné, montre bien qu'elle subsiste en lui dans ses profondeurs, ainsi que sa manière délicate de s'exprimer. Monique a été bouleversée pas une disparition qui la touche de si près, et moi aussi, même si j'avais rencontré Marthe peu souvent, je pensais à elle souvent, à ses difficultés, comme je ne cesse de penser à votre amitié fidèle et sûre qui a été si souvent ma compagne de vie. A vous, de tout cœur, cher Maurice Nadeau. Maurice Blanchot".

32. LAS du 4 décembre [milieu des années 1980] : "Je reçois la revue; mais depuis longtemps les livres de vos collections ne me parviennent plus"

33. LAS du 3 juin [milieu des années 1980]: "[...] Pardonnez moi de vous redemander le texte sur les Poèmes de Samuel Wood [de Louis-René des Forêts]" [...]".

34. LAS s.d. [1989] : "[...] J'aimerais beaucoup que vous mettiez en exergue les paroles sur l'enfant. Il y a la une grande part de la vérité de L R [Louis-René des Forêts]. Le titre pourrait être : "Une pensée venue d'ailleurs" ».

35. LAS du 24 Mai 1989 : "Cher Maurice Nadeau, Je serais heureux que la Quinzaine veuille bien accueillir ces pages bien médiocres sur le poème si bouleversant de notre ami [article sur "Poèmes de Samuel Wood" de Louis René des Forêts, paru dans le n°535 de la Quinzaine Littéraire]. Comment s'approcher d'une si grande douleur (Elizabeth [fille de Louis-René] est morte en 1966 [en fait en 1965 à l'âge de 14 ans], elle aurait plus de 30 ans) ? Partagé, moi aussi, entre le silence et la parole vaine, je choisis la voix chevrotante. J'admire toujours le travail que vous poursuivez. Le temps passe, Robert Antelme est stabilisé dans son malheur, parlant peu, se souvenant de tout, et si profondément triste. Vous avez certainement su que Marguerite (Duras) avait été à la mort durant plusieurs mois, mais voici qu'elle revient à la vie et va aller dans une maison de rééducation. Merci, cher Maurice N., d'être toujours là et croyez à ma fidèle amitié. Maurice Blanchot".

36. LAS du 8 mai [début des années 1990] : "Cher Maurice Nadeau, Dionys (qui ne va toujours pas bien - non cicatrisation et dépression profonde, lui qui a toujours contesté la spécificité de la dépression) dit qu’il ne demande de ma part qu’un salut d'amitié. Je ne suis pas de son avis, il mérite et vous méritez plus. Seulement, la difficulté c'est que j'ignore ou ne me rappelle pas la majorité de ses textes (il a autant d'ordre que j'en manque). Tout de même il y a les événements que nous avons vécus en commun - avec vous aussi. Principalement, le grand choc qu'a constitué la déclaration sur le droit à l'insoumission dans la guerre d'Algérie. Là, j'ai des souvenirs très marqués, notamment, quand nous fûmes inculpés, l'énergie qu'il a fallu déployer pour imposer au juge notre droit à dicter la déposition au greffier, etc. Bredin, en écrivant son récit Le Coupable et avec qui j'ai correspondu, a tout à fait confirmé mon jugement, ce doit être rapporté particulièrement aujourd'hui. Comme c'est à l'occasion de cet événement que j'ai partagé le plus d'heures avec André Breton, j'aimerais avoir les textes que B. lui consacre ainsi qu'au surréalisme - particulièrement surréalisme, morale, musique (Breton rejetait la musique qui lui était étrangère, n'est-ce pas ? Ce n'est évidemment pas mon point de vue). Peut-être aussi le texte sur Saint-Just. Je ferai mon possible. Ce n'est pas un grand possible. Votre fidèle ami. Vous avez reçu, comme moi, cette requête d'un thésard qui ose nous demander ce qu'en tant qu'intellectuels nous pensons de Le Pen. Le Pen, devenu sujet de thèse. La faute incombe à son directeur de thèse. Mai 68 est bien effacé".

37. LAS du 1er juin [début des années 1990] : "Cher Maurice Nadeau, Voici le préambule que je propose pour le livre de Dionys Mascolo ["Pour l'amitié" qui paraîtra en tête de A la recherche d'un communisme de pensée chez Fourbis en 1993]. C'est l'histoire de notre amitié. Pouvez-vous demander à votre secrétariat de le taper à la machine et de m'en envoyer un ou deux exemplaires ? À condition, bien sûr, que le texte vous convienne. Je le corrigerai ou le modifierai sur les exemplaires que vous m'enverrez et selon vos observations. Affectueusement. M. B.".