CÉLINE (Louis-Ferdinand)

Lettre autographe signée adressée à Maurice Nadeau

25 juillet 1947

LAS de 5 pp. in-folio (33,8 x 20,8 cm) rédigée à l'encre bleue

Longue lettre autographe signée adressée à Maurice Nadeau en réaction à un article du grand journal russe des Izvestia.

Elle fut publiée par Maurice Nadeau dans Combat le 1er août 1947 sous le titre "L.-F. Céline nous écrit" précédé de cet avant-propos : "Nous avons publié dans la page littéraire de Combat du 11 juillet dernier, sous le titre, Sade américain ? un passage des Izvestia, où l'auteur, A. M. Leites, faisait de Céline l'inspirateur de la littérature française actuelle. Cette littérature, ajoutait-il, prépare à son tour le retour de Céline en France. A la suite de cet article, nous avons reçu, de Copenhague, la lettre ci-dessous, signée de L.-F. Céline. Nous avons toutes les raisons de penser qu'elle émane bien de l'auteur du Voyage au bout de la nuit. On comprendra qu'il soit inutile de la commenter".

La lettre a été reprise dans Cahiers Céline 1, Céline et l'actualité littéraire (1932-1957) (Gallimard, 1957) accompagnée de ces précisions : "L'article [des Izvestia] qui traitait Céline dans le premier paragraphe cité de "nullité littéraire" et de "criminel fasciste", trouvait des signes concomitants de ce retour de Céline dans le succès de Henry Miller en France, dans celui de Jean Genet et dans la résurrection de Sade."

Elle figure également dans les Lettres publiées dans la Pléiade (Gallimard, 2009, 47-59) et il est précisé dans les notes que "c'est la première fois, après l'article de Nuit et jour, que la parole était donnée à Céline dans la presse française depuis juin 1944".

Dans une lettre à Albert Paraz du 26 juillet 1947 (Lettres, 47-58), Céline le remerciait pour l'envoi d'une coupure Combat [du 11 juillet] en lui annonçant : "Je leur réponds. On verra s'ils insèrent ma lettre".

Céline réagit avec sa verve habituelle et beaucoup de virulence à l'encontre des Soviets. Il y évoque la traduction en russe du Voyage au bout de la nuit par Elsa Triolet et Aragon, qu'il qualifie de tripatouillage et précise que tous ses romans ont été interdits en Allemagne.

"Copenhague le 25 juillet 47 / Hé, Diable ! Monsieur, je parie / bien les Dardanelles que ce Jean / foutre des "Investias" [sic] (1) n'a jamais lu / un seul de mes livres ! / Que veut dire / tout son cafouillage ! Qu'ai-je de / de commun avec Sade ? Sartre ? / Millner [sic, pour Miller] ? Le Pape ? En sait-il, lui / le premier mot ce damné troufignon ? / Sait-il même lire ? Je ne crois / pas. Écrire ? Certainement non. / Il bafouille des choses, sans / queues ni têtes, n'importe quoi...! Il est payé ! Il rapproche tout, / confusionne tout, merdoye, aboye, tout est dit. On s'écoeure à penser / que de grands Empires employent / de tels crétins. En si minuscules / affaires tellement déconner !... / Que ce doit-il être dans les grandes ! / J'aimerais à parler de ces / tristesses au Dr Braun, à / Mr Sokoline que j'ai connus.. / Ils seraient bien gênés... Ces / "Investias" d'abrutis quelle / tare ! Et vas-y pour l'existentia- / lisme ! Pan ! pour l'homosexualité ! / Vlan !  pour Voltaire ! Boum ! / pour la Lune ! Quelle salade ! / Quelle honte ! / Je veux bien faire un petit effort, encore / une suprême gentillesse pour les / Soviets, leur fixer une bonne / fois pour toutes un petit point / de l'Histoire littéraire française, / qu'ils n'y déconnent plus. La / "nullité littéraire Céline" leur / apprend (puisqu'ils ne savent rien, / même de ce qui les concerne, ils / bavent sous eux !) que le / Voyage au bout de la nuit / a été lancé par un article / de Georges Altman dans le / "Monde" communiste, d'Henri / Barbusse en 1934 [sic]. Les articles de Daudet, Descaves, / Ajalbert, ne sont venus qu'ensuite. / J'ai d'ailleurs toujours entretenu / avec Altman des relations très / cordiales.

Je leur apprends "secundo" / que le "Voyage" a été traduit / d'office par les Soviets (sans / absolument me demander mon avis ! ) / et que ces traducteurs ne / sont pas moins qu'Elsa / Triolet et son mari Aragon, / qui ne se sont point gênés / pour tripatouiller mon texte / dans le sens de leur propagande. / Les Soviets me doivent d'ailleurs / toujours de l'argent sur cette / traduction. Avant d'engueuler / les gens il est bon de leur rembourser ce qu'on leur doit. / Voici une première petite mise au point. Les Investias / ignorent évidemment (2) qu'en tant / que "criminel fasciste" tous / mes romans ont été interdits / en Allemagne / dès l'avènement d'Hitler / et pendant tout le règne Hitlérien ? Savent-ils que mon / dernier éditeur en "allemand" (3) / est Julius Kittel juif / réfugié à Marich Ostrau / -Moravie ? (1936) / De tels crétineries (4) découragent / la polémique, on comprend / que la parole soit de plus en / plus à la bombe, à la mine, / au déluge ! / Je vous prie de croire, Monsieur, à mes sentiments très / distingués. / L.-F. Céline".

La retranscription dans la Pléiade donne :

1. Investias (sans guillemets);

2. "également" au lieu de "évidemment";

3. "allemand" au lieu de "en allemand"

4. "De telles crétineries". Céline avait initialement écrit "De tels crétins" qu'il corrigera en "De tels crétineries" sans faire l'accord au féminin, faute que la Pléiade corrige.

Remerciements à M. Jean-Paul Louis pour sa relecture avisée des retranscriptions des lettres de Louis-Ferdinand Céline à Maurice Nadeau.

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