LE CLEZIO (Jean-Marie)

Importante lettre adressée à Maurice Nadeau

Mai 1970

1 LAS au format in-8 d'1 p.

Très belle lettre autographe signée, rédigée à l'encre violette sur papier à en-tête du Ritz-Carlton Hotel de Montréal, à propos du "Roman français depuis la guerre de Maurice Nadeau et son influence sur son écriture.

Retranscription : "Nice mai 1970 / Cher Monsieur / Je viens de lire d'une traite votre étude sur le Roman français depuis la guerre (je ne connaissais pas l'édition précédente) et cela m'a beaucoup intéressé. Je crois que personne n'a su mieux que vous parler avec concision et pourtant complètement de ce qu'est l'évolution du roman français. Je veux dire de cet ensemble de forces qu'on voit grâce à votre recul former une sorte de comédie des erreurs et des recherches; beaucoup de choses cachées apparaissent. On comprend beaucoup d'attitudes autrement inexplicables. C'est tout à fait passionnant. Et puis il y a aussi ces pages que vous avez bien voulu me consacrer. Je suis très touché de ce que vous dites, moins par vanité personnelle (du moins je l'espère) que parce qu'elles m'apprennent beaucoup sur moi-même et sur ce que je fais, ce que j'aurais pu faire, ce que je pourrais faire. Vous savez, quand j'ai commencé à écrire (à publier), il y a 7 ans, je ne savais RIEN : rien de moi-même, rien des autres, rien des possibilités de l'écriture. Pour tout dire, je crois que je ne prenais pas la littérature très au sérieux. C'est-à-dire que je me prenais, moi, beaucoup trop au tragique. Mais c'est cela qui est merveilleux (pour moi), c'est que les livres ont été le premier dialogue que j'ai eu réellement. Je suis passé ainsi du mutisme à la parole en écrivant et en sachant que des hommes tels que vous lisaient. En lisant leurs réponses aussi (dans les lettres qu'on m'envoyait, ou dans les articles de journaux, ou simplement l'occasion de rencontres). Pour moi cela a donc été tout à fait extraordinaire, inespéré : sans cette possibilité de dialogue, je crois que j'étais perdu. Voilà pourquoi j'aime ce que vous dites du roman dans votre livre, parce que l'on sent que, sous toutes ses formes, il est une volonté permanente et acharnée de communiquer. Ce n'est pas ce qu'il dit qui est important, mais qu'il dise quelque chose (et qu'il parle, pose des questions, maudisse, loue, réponde). Voilà que vous êtes un de ceux qui m'ont permis de sortir du mutisme et d'apprivoiser la parole, ce qui était en quelque sorte m'attirer de la mort vers la vie. Même s'il n'est qu'un délai un salut de ce genre n'est pas "provisoire". Avec reconnaissance. Votre. JMG Le Clezio".

1 500 €