SACHS (Maurice)

Lettre à Misia Sert à propos d'un tableau de Bonnard

juillet 1932

LAS d'une page au format in-4 (27,8 x 21,5 cm), rédigée à l'encre noire

Très belle lettre autographe signée adressée à Misai Sert, à propos de la vente manquée d'un tableau de Bonnard, dans laquelle Maurice Sachs fait montre d'humilité envers sa correspondante.

Marie Godebska (1872-1950), dite Misia, avait épousé Thadée Natanson, fondateur de la Revue Blanche, en 1893. Elle fut dans les années qui suivirent une égérie des peintres nabis et devint une amie proche de Pierre Bonnard qui réalisa de nombreux portraits d'elle. Elle divorça ensuite à deux reprises, la seconde fois de José Maria Sert en 1928 et fut contrainte à revendre des tableaux pour subvenir à ses besoins.

Retranscription :

"Juillet 1932

Chère Misia,

Depuis longtemps je voulais vous écrire une petite lettre ; ma vie a été tellement bousculée que j'ai toujours remis au lendemain ce que mon coeur me disait de faire à l'instant.

J'espère que le retour du Bonnard a été fait avec tout l'ordre désirable. C'était une vraie malchance de ne pouvoir le vendre. Faut-il que les gens soient stupides pour ne pas voir encore quelle est l'importance de Bonnard dans l'histoire des quarante dernières années de peinture. De Hauke (*), lorsqu'il était en Amérique était le seul qui eût pu organiser une campagne pour Bonnard et Vuillard. Tout alors lui était favorable. Mais les temps ont tourné.

Je suis marié, vous le savez sans doute. Je suis très heureux dans ce nouvel état. Je travaille aux conférences pour l'hiver.

Je vous souhaite un bon été. Je pense quelquefois que vous détesteriez le lieu où je suis. On n'y voit nulle maison, presque pas d'habitants. Les prés bordent l'horizon. C'est la campagne qui est tout ce que j'aime. J'espère, pour votre plaisir, que vous êtes en quelque lieu moins solitaire.

Je vous baise les mains, chère Misia, en témoignage de mon très fidèle attachement. Maurice Sachs.

Savez-vous, que quand j'y pense, je m'aperçois que vous êtes la seule personne que j'ai connue qui m'ait toujours fait un peu peur et devant qui je me sente toujours irrémédiablement idiot. J'ai pris si longtemps à surmonter ces sentiments d'infériorité à votre égard (encore ne les ai-je pas surmontés tout à fait) que jamais je ne pourrais bien vous dire combien je sens en moi d'élans vers vous. Au fait, cela ne vous apporterait rien. Je vous aime beaucoup".

Maurice Sachs".

Note : * César Mange de Hauke (1900-1965), marchand d'art français, associé à Bernheim jeune en 1925, directeur de la galerie De Hauke & Co. à New York qui fera connaître nombre d'artistes français aux américains, dont Pierre Bonnard auquel il consacra une exposition en 1928.

Les belles lettres de Maurice Sachs sont rares et recherchées.