BRASSAÏ

Correspondance adressée à Maurice Nadeau en rapport avec Conversations avec Picasso

du 11 mai 1964 au 30 novembre 1964

3 LS (avec ajouts autographes et corrections) et 1 LAS de 1 p. au format in-4 ou in-8 (1 LS) formant un ensemble de 5 pp.

Très intéressante correspondance adressée à Maurice Nadeau en rapport avec Conversations avec Picasso, paru chez Gallimard en 1964. Brassaï évoque ces entretiens avec Picasso, les notes prises sur le vif, s'excuse de ne pouvoir donner des extraits pour prépublication dans Les Lettres Nouvelles, ceux-ci ayant été vendus au Figaro Littéraire, cite trois longs fragments de lettres d'Henry Miller à propos des Conversations avec Picasso.

"Votre oreille est devenue aussi importante / que votre œil ! Bravo ! ".

LS : "Paris le 11 mai 1964 / Cher ami / tout arrive (grâce au double nœud du mouchoir). / Comment m'excuser d'avoir oublié ma promesse lors du / premier noeud? Ce portrait n'est pas absolument con- / forme à celui paru dans le New York Times. Ici, le / visage est plus d'aplomb. Mais l'homme et l'expression / sont les mêmes. Ayant donné mon manuscrit des "Conversations / avec Picasso" à Claude Gallimard, je connais un peu / ce que peut être pour les femmes la délivrance… Mais / il faut encore donner à téter et s'occuper des layet- / tes.… / Une mystérieuse vampe (sic) m'a téléphoné de la part / d'Henry Miller. Elle arrive de Los Angeles. Je la ver- / rai mercredi. Si elle me dit des choses dignes d'être / communiquées, je vous téléphonerai… / A bientôt / et mes hommages à Madame Nadeau / bien amicalement / votre / Brassaï / P.S. si vous désirez / faire coller la photo, la / maison Artista le fait très bien / 72, rue Mouffetard Gobelins 05 43".

LS : "Paris, le 24 juin, 1964 / Cher Ami, je n'excuse de vous répondre aussi tardivement… / j'aurais bien aimé vous communiquer une copie de mon / manuscrit, mais elle me manque en ce moment. Je peux / le faire au mois d'août (je pars maintenant pour le / Midi pour un mois) ou si vous êtes à Paris, au / mois de septembre. De toute façon "Conversations avec / Picasso ne paraîtra pas avant le mois de novembre. / Non, la vamp en question n'était pas Anaïs Nin / (que j'ai bien connue autrefois), mais une starlette / de Holywood (sic) de 20 ans, une des petites amies de / Henry, séduisante et ennuyeuse à la fois. Pendant 6 / heures je l'ai aidée à choisir des chaussures... / Bien amicalement / et mes hommages à Madame Nadeau / PS j'aimerais aussi faire votre portrait".

LAS (enveloppe jointe) : "Eze-Village ,13 novembre 1964 / Cher ami, / J'ai une très mauvaise / conscience : vous m'avez si gentiment / demandé un extrait de mon Picasso / pour les Lettres nouvelles et je ne vous / l'ai pas donné. C'est la maison Galli- / mard qui s'est occupé des prépublications / et les a vendues au plus offrant. Elle / et Figaro littéraire restaient finalement / en lice et bien qu'Elle offrait un peu / plus que F. L. j'ai donné ma préférence / à ce dernier. Comme il s'agissait d'une / exclusivité je ne pouvais rien donner / à d'autres revues. / / Le 26 sep. j'ai eu ici une crise / cardiaque - heureusement ici et heureusement / après avoir tout fait pour le livre - 30 jours de / lit mais depuis deux semaines je suis debout / et on m'a autorisé même de taper à la machine / - dans 2 jours. Je vais donc reprendre mes / "Conversations avec Henry Miller" qui sont je / pense très amusantes. / Bien amicalement / et mes hommages à Madame / Nadeau / P.S. j'espère que vous avez bien reçu mon livre / Brassaï".

LS (enveloppe jointe) : "Eze-Village, 30 novembre, 1964 /Cher ami, / votre lettre m'a comblé de joie. Ce n'était pas une / lettre, mais une pré-critique une avant-critique... Je n'ai / pas mérité tant d'éloges; mon seul mérite c'est d'avoir / noté quelques propos après certaines de mes visites chez Picasso, (hélas, pas toujours et pas tous (sic). Mais c'est un / mérite, car on se trouve toujours dans un engrainage (sic), on / est fatigué, on a sommeil ou la flemme, on remet cela au / lendemain ou au surlendemain, d'autres événements sur- / viennent et lorsque vous voulez noter les faits et les / propos tout à fait déjà dissout (?), englouti… Je / n'avais pour l'intention d'écrire un livre sur Picasso, / autrement je l'aurais fréquenté avec plus d'assiduité et / j'aurais pris des notes avec plus de méthode et d'application. Ce / n'était hélas, point le cas. Et lorsqu'il y a quatre ans, / en rangeant mes photos et manuscrits, je suis tombé sur / une boîtes (sic) qui portait l'inscription "Conversations avec / Picasso", lorsque j'ai essayé de déchiffrer des griffonnages / sur des enveloppes, des bouts de cartons, j'était (sic) dans la situation de Champollion devant des Hié- / roglyphes. Il ne faut jamais compter sur la mémoire ! / Certaines notations succinctes d'anecdotes, de paroles, / d'évènements ne me disaient plus absolument rien. Seul / Picasso aurait pu m'ouvrir la clé de ces énigmes. / Mais prendre le temps de cet homme pour ces futilités… / Je me suis donc contenté des hiéroglyphes déchiffrées. (sic) /

Quant à la présence personnelle dans cet / ouvrage, vous n'imaginez pas à quel point cela me gênait. / J'ai essayé de faire abstraction de toutes mes affaires / personnelles, mais le dialogue, le ton n'y était plus. / J'aurais dû peut-être me tenir davantage à l'écart dans / le livre. Enfin, il plaît. Il plaît même énormément / à Picasso. (Je ne lui ai lu, à l'époque, que quelques pages du livre - je voulais garder tout de même une certaine liberté) / Il m'a proposé de faire une exposition du livre / (et surtout des photos agrandies) dans la Gale- / rie Madoura à Cannes, chez Madame Ramier (de Vallauris) /. On a fixé même la date : 22 décembre. Picasso a promis / d'être présent vernissage. Quant à Henry Miller il / m'envoie ses impressions au fur et à mesure qu'il lit / le livre. (Et d'abord les trois numéros du Figaro littéraire) / Cela vous amuse peut-être si j'en recopie / quelques passages : /

du 28 octobre (après la lecture du premier extrait dans F.L.) / "Félicitations ! Le Picasso commence bien, / très très bien! (Aujourd'hui le deuxième Figaro est ar- / rivé je vais le lire ce soir.) / "Il y a une chose qui m'intrigue à l'égard / de vos "Conversations..." Comment, nom de Dieu, avez- / vous été capable de rendre ces conversations avec une / telle précision, exactitude - ou le semblant de cela ? / Dans mes "romans" (sic) j'ai essayé de faire la même chose, / mais je sais bien que j'ai triché. J'ai donné l'ambiance / mais pas la versisimilitude. Notre mémoire nous trahit / toujours, et souvent quand nous en avons une confience (sic) / absolue. Heureusement la vérité ne réside pas dans les / mots, mais dans l'esprit qui fait naître ces mots / traîtres. Est-ce que j'ai raison ou non. Je lui ai répondu que moi, j'écris dans l'esprit de la photo (on ne peut pas faire une photo de mémoire ou d'imagination ou d'invention, la photo exigeant toujours un embryon de réalité), mais que lui grand écrivain, heureusement qu'il écrivit les romans "non d'après des notes" mais d'après ce qu'un effort de mémoire l'avait obligé de tirer de son magma d'inventer). A part de cette petite question, je trouve telle- / ment de choses excitantes (sic) dans le dans votre écrit. Il est là, / Picasso, tout vivant, nu, révélé - vous avez le génie pour / cela. Bravo. etc.

du 13 novembre (...) "Now I have the book and I am reading here and / there, skipping around in it like a goat. Picasso him- / self is always fascinating - wether (sic) he is talking shop, / clothes, or philisophizing. He always hits the buls (sic) eye. / I regret now that I never seized the occasion to meet / him. You have certainly given him fully, - from every angle : and inside out." (...) / Only you could have described his eyes - the look / in his eyes - on your first meeting. This was remarkable. / And you made my (sic) happy, when you extolled his vir- / tues - simplicity, kindness, generosity, naturalness, / etcetera. We needed this correction".

du 25 novembre (Miller était pendant 10 jours au lit) / "Mon cher Brassaï, encore un petit mot - je me lève pour / écrire - à propos de vos "Conversations..." et du sujet / : Picasso. C'est extraordinaire comment vous l'avez fait / vivre. Il est devant moi en chair et en os. Il n'est plus / ce "monument terrifiant", mais un homme (très spécial) comme / nous et pourtant un homme très singulier, presque unique. / Un géant, abordable (et souvent adorable), tendre, in- / time et malgré son tempérament créateur tout à fait hu- / main. J'ai été surpris de découvrir qu'il a un sens / de l'humour – j'ai ri comme un fou parfois en lisant ces / paroles. / Votre livre est donc "invaluable" (impayable ?). / Personne ne pourrait nous donner cette vérité que vous- / même. Votre oreille est devenue aussi importante / que votre œil ! Bravo ! Et important aussi votre main (amie) / qui écrit. J'espère que nos éditeurs américains s'inté- / ressent pour faire une traduction – et vite. Je parle de / ce livre à tous mes amis tout le temps. Je suis devenu / même un "Doppelgänger" de Picasso (Cela ne m'est arrivé / qu'en lisant La Montagne magique de Thomas Mann - il y / a 35 ans. / Je n'ai pas encore achevé le livre – je ne le veux pas. Je serai triste quand je me trouverai à la dernière page."

Roger grenier ma écrit qu'il vous a rencontré et que Claude / Gallimard est d'accord pour que je donne un extrait des / Conversations avec Henry Miller aux Lettres Nouvelles. / Alors c'est promis, je demande seulement un type de patience. / Je vais maintenant / tout à fait bien, mais / il faut que j'aille / doucement, piano, piano. / Présentez mes / hommages à Madame Nadeau / Bien amicalement Brassaï".

On joint :

BRASSAÏ

Conversations avec Picasso

Paris, Gallimard, 1964

19,8 x 13,7 cm, broché, couverture crème imprimée en rouge et noir, 334 pp., 2 ff. n. ch.

Edition originale.

Exemplaire du SP (après 45 vélin pur fil) illustrée de 53 photographies de l'auteur en noir et blanc.

Envoi autographe signé de l'auteur : "Pour Maurice Nadeau / son ami / Brassaï / Eze-village, 27 octobre / 1964".

Très bon état.

2 500 €