DES FORÊTS (Louis-René)

Correspondance adressée à Maurice Nadeau

du 6 janvier 1954 au 27 mars 1966

12 LAS (11 au format in-8 et 1 au format in-4) formant un total de 22 pp. 1/2, 4 enveloppes conservées.

Correspondance de 12 lettres autographes signées témoignant de la collaboration de Louis-René des Forêts aux Lettres Nouvelles. La revue publia deux récits majeurs de l'écrivain, "Les Grands moments d’un chanteur" (en deux parties dans les n° 10 et 11 en décembre 1953 et janvier 1954) et "Une mémoire démentielle" (n°54 en novembre 1957). Ces deux nouvelles seront reprises dans le recueil, La Chambre des enfants, chez Gallimard en 1960.

Ces lettres montrent combien Louis-René des Forêts était exigeant envers son écriture. Cette quête de la perfection l'empêchera, à plusieurs reprises, de livrer sa copie dans les délais impartis. Il s'en excusera dans une très belle lettre (voir retranscription ci-dessous).

1. LAS à propos des Grands moments d’un chanteur : "6 janvier 1954 / Cher Nadeau, Votre lettre m'a beaucoup touché, et je / vous en remercie de tout cœur. Je / crois en effet que mon récit aurait / gagné à être publié in extenso, mais / enfin je ne puis m'en prendre qu'à moi / qui n'ai pas su vous donner tout à la fois. / c'est à mon tour, cher Nadeau, de vous / souhaiter la meilleure année possible. / Je pense à vous personnellement, mais / aussi à votre revue qui a devant elle, / j'en suis sûr, un solide et brillant / avenir. [...]".

2. LAS : "18 octobre / Cher Maurice, / j'aurais bien aimé vous donner quelque chose / pour les L. N., mais voici : la question s'est / déjà posée pour moi de tirer de mon travail en / cours un passage susceptible d'être publié en / revue. C'est ainsi que je m'étais engagé / assez témérairement à en donner quelques pages / au Mercure de France, or à les relire au / retour des vacances il m'a paru difficile / de les détacher du contexte et, pour ne pas / me dédire - mais poussé surtout par je ne sais / quelle étrange nécessité - j'ai entrepris / d'en faire une seconde version sous une forme / tout à fait inusitée chez moi comme vous le / verrez. Je la termine ces jours-ci, et je ne / me crois pas capable de renouveller (sic) pour l'ins- / tant une telle tentative. [...]".

3. LAS : "27 février 57 / Mon cher Nadeau, / Vous m'aviez demandé de vous donner / le récit promis dans les dix jours. Mais / à la relecture de ce texte, il m'a paru / nécessaire de procéder à sa refonte com- / plète. Je fais actuellement ce travail, / et je crains de ne pouvoir l'achever avant / trois sem. environ. Pouvez-vous / attendre jusque-là ? / Honteux d'avoir à vous demander ce / nouveau délai et afin de ne pas abuser / encore une fois de votre patience, j'avais / envisagé d'abord de vous donner un autre / texte qui est au point, mais à la réflexion / je pense que ce serait une erreur de le / publier en revue (il doit s'inscrire / dans une série de récits qui paraîtra en / volume à la fin de l'année). [...]".

4. LAS, s.d. : "Cher Nadeau, Je vais profiter de ces vacances de Pâques pour travailler activement au texte que je destine aux Lettres Nouvelles, et j'espère bien vous le donner d'ici juillet. Je m'en veux de ma paresse, de ma lenteur ! Le dernier numéro des L.N. était excellent. [...]".

5. LAS, s.d. : "Cher Nadeau, Voici bientôt écoulé le délai dont nous avions convenu pour la remise de mon texte. Je comptais sur ces dix jours de vacances pour l'achever et le mettre définitivement au point mais une rhinite aigue m'a empêché d'y travailler, si peu que ce soit. Pour tenir ma promesse, je pourrais vous en donner une vingtaine de pages dès mon retour à Paris la semaine prochaine et le rest à la fin du mois. Ce n'est pas que cette solution me paraisse la meilleure : j'aurais préféré que ce récit soit publié dans une seule livraison (une trentaine de pages environ). Mais je n'ose vous faire patienter encore un mois. D'autre part ce texte risque de vous décevoir, il n'intéressera que très peu de lecteurs. Il se pourrait qu'il n'ait pas sa place dans une revue. Mais enfin ce sera à vous d'en juger (et vous ne pourrez le faire que sur lecture du texte intégral, de sorte que mieux vaudrait attendre encore trois semaines et, s'il vous paraît convenir, le publier en juillet dans sa totalité) Qu'en pensez-vous ? Je vois bien que j'abuse de votre gentillesse en vous demandant de m'accorder encore un sursis d'un mois, si vous le pouvez, je vous remettrai les vingt premières pages à la fin de la semaine. Sinon, le texte complet avant le 1er juin. je vous dois trop d'excuses pour vous en adresser encore. A vous bien amicalement, Louis René des Forêts".

6. LAS : "12 décembre / Cher Nadeau / Je suis très hostile aux prix litté- / raires tels qu'il se décernent de nos / jours, mais je ne doute pas que ce soit / cette même hostilité qui ait donné / naissance au projet que vous me sou- / mettez. Naturellement, je serai / heureux de me joindre à vous et je / vous prie de vouloir bien remercier / de ma part ceux qui ont pensé à / moi pour faire partie de ce jury. [...]".

7. LAS à propos d'Une mémoire démentielle : "Cher Nadeau, / A défaut de mon texte qui n'est / ni au point ni tout à fait achevé, / je vous en donne le titre : Une mémoire démentielle. [...]".

8. Très belle lettre d'excuse : "Croyez-moi, cher Nadeau : je suis un écrivain (?) / sur lequel on ne peut compter, le dernier de / tous auquel il faut demander de tenir ses / promesses dans un délai convenable - et / je trouve tout cela déplorable, et même / humiliant. / Vous avez raison "de me persécuter" / comme j'ai tort de répondre aussi mal / à votre attente. Je vous prie de me le / pardonner. Vous ne pouvez imaginer comme / tout cela me tourmente. Mieux vaudrait / peut-être que vous n'attendiez plus rien de / moi, que vous n'annonciez plus mon texte / dans la revue, même si c'est à vous, et à / vous seul, que je le destine. / Je subis une crise effroyable, il / m'en coûte de vous l'avouer, mais c'est / votre amicale insistance qui m'y pousse. / Trop d'ambition peut-être, et la plus / grande défiance à l'égard des moyens / propres à la réaliser. Mais c'est bien / peu dire. / Ne m'en veuillez pas, je vous en / supplie, cher Nadeau. Louis-René des Forêts".

9. LAS : "Cher Nadeau, / Je vous remercie très chaleureusement / de l'excellent article que vous avez consacré /à mon livre dans l'Observateur ; je / serais moins gêné pour vous en parler / si j'étais plus conscient de l'avoir mérité. / Je ne sais si, comme vous le dites, je / déploie tous mes efforts pour passer inaperçu, / mais je sais bien que je suis extrêmement / sensible aux jugements des quelques personnes / que j'estime : c'est pourquoi votre article / constitue pour moi le plus précieux des encoura- / gements et je vous en suis très reconnaissant. / J'aurais voulu vous l'exprimer mieux que / par ce petit mot, mais j'ai hâte de vous / faire savoir le grand réconfort que vous / m'avez apporté et pour lequel je vous / remercie encore de tout cœur. / Je vous serre la main très amicalement / Louis-René des Forêts".

10. Très belle et longue lettre autographe signée adressée à Maurice Nadeau, dans laquelle Louis-René des Forêts explique, avec humilité, les raisons de sa démission en tant que rédacteur permanent de la revue internationale imaginée avec des écrivains italiens et allemands suite à la Déclaration des 121, qui devait remplacer les Temps modernes et les Lettres Nouvelles : « Samedi / Cher Maurice Nadeau, J'avais depuis longtemps l'intention de vous écrire et si je m'y décide aujourd'hui c'est que notre dernière réunion m'a laissé une impression très pénible venant s'ajouter au profond désarroi où l'avait jeté la rencontre de Zürich qui a constitué pour moi une épreuve décisive (il m'est apparu ensuite que toute décision prise solitairement ne pouvait avoir de sens et de valeur réelle, après tant d'efforts communs, que si elle était reconnue et admise par tous, c'est pourquoi je préfère la laisser momentanément de côté). Mais sur un point précis au moins, promettez-moi de m'expliquer très franchement et pardonnez-moi si je le fais avec quelque maladresse.

Lorsqu'il m'a été demandé il y a un an d'assurer le rôle de rédacteur permanent - rôle d'ailleurs mal défini à l'époque -, j'ai compris d'emblée que mon acceptation allait poser pour moi de très graves difficultés. Pour m'en tenir à une seule: je me jugeais de nous tous le moins qualifié pour accomplir une telle tâche qui exige certaines aptitudes, certaines qualités dont je suis cruellement dépourvu. J'étais si conscient de mon insuffisance qu'il a fallu l'insistance de nos amis pour me faire revenir sur un premier refus et que je n'ai cessé, au cours de ces derniers mois, de remettre en question la vérité de cette décision. Par contre, à tort ou à raison j'ai cru apercevoir chez vous comme chez Geneviève Serreau de sourdes réticences mais j'ajoute aussitôt que je n'ai jamais songé à vous en tenir rigueur puisque je les jugeais moi même fondées et qu'elles servaient à entretenir en moi ce doute que d'autres s'employaient à dissiper (tant sur ce point particulier d'ailleurs que sur celui, plus général, de ma participation à la revue). Il est bien évident que du jour où, dans un mouvement de générosité qui vous est naturel et qui nous a profondément touchés, vous avez proposé de sacrifier Les Lettres Nouvelles à notre projet commun, je me suis trouvé plus que jamais en porte à faux, et j'ai été gravement fautif de ne pas m'en être expliqué avec vous, du moins en tête à tête, car vous connaissez mon impuissance à m'exprimer en public qui est chez moi comme un infirmité.

Dès notre retour de Zürich, j'ai fait part à Dionys [Mascolo] et à Robert [Antelme] de mon intention de renoncer au rôle de rédacteur, je m'en suis expliqué aussi par téléphone avec Maurice Blanchot qui m'a demandé amicalement de surseoir à cette décision et même de n'en pas faire état au cours de la réunion du lendemain afin de ne pas ajouter encore à nos difficultés. Mais les circonstances m'ont mis dans l'impossibilité de tenir ma promesse, et je ne la regrette pas si cela a permis, comme je le souhaite, d'éclaircir la situation, de dissiper entre nous une trop longue suite de malentendus. L'agressivité de Geneviève Serreau à mon égard, qui m'a été sensible et dont chacun a pu être frappé, aura eu le mérite de me mettre en demeure de rendre publique ma décision. Je ne sais si les arguments avancés par Robert Antelme sont fondés, bien que vous les ayiez (sic) admis vous-même, mais pour ma part je tiens à bien préciser que si j'ai consenti à différer ma décision, c'est seulement à titre temporaire et à des fins d'opportunité. Si l'on admet que ce problème mineur de la rédaction française passait être de nature à alarmer nos amis étrangers, ce que je ne crois guère.

Si je ne craignais de vous infliger une trop longue lettre, il y a bien d'autres questions que j'aurais aimé préciser, notamment celle de la critique de textes français que je m'accorde avec vous par juger indispensable et que nous sommes trop portés à négliger sous prétexte que les reproches qui nous ont été adressés par les autres groupes ne sauraient être pris sérieusement en considération, du moins dans les termes où ils ont été formulés. C'est peut être aussi que nous vivons cette entreprise jusqu'à la folie - et cette folie nous aveugle (Je n'attache à mes deux textes aucune valeur: la seule question pour moi est de savoir s'i me sera possible un jour de m'exprimer dans la revue sans avoir à rompre avec le mouvement qui m'est propre, eh bien je crains que la réponse soit négative)

Mais je pense en avoir assez dit sur ce qui me tient à coeur pour être compris et cru de vous. Permettez-moi, pour terminer, de vous dire ceci: c'est la profonde sympathie que je vous porte qui m'a inspiré cette lettre, pardonnez-moi si elle est gauche et confuse, n'y voyez surtout rien d'autre que le reflet du désaccord actuel de mon esprit. Bien amicalement à vous Louis-René des Forêts ».

11. LAS : "24 août 1965 / Cher Maurice, Je ne puis vous dire qu'en termes misérables combien nous avons été sensibles à votre mot d'amitié. Je voudrais en dire plus, mais je me déchire à toute pensée ! Sachez du moins que mon amitié répond à la v^tre. Louis-René".

12. LAS : "27 mars [1966] / Cher Maurice, / Je n'écris plus depuis des mois. Et même / une lettre, cela m'est difficile. Pardonnez moi. / Affectueusement à vous / Louis-René".

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