GRACQ (Julien)

Correspondance adressée à Maurice Nadeau

8 décembre 1945 au 21 février 1994

7 LAS et 3 CAS au format in-8 à in-32 formant un ensemble de 10 pp. 1/2, 2 enveloppes conservées.

Correspondance constituée de 7 lettres autographes signées et de 3 cartes autographes signées adressées à Maurice Nadeau qui avait donné une chronique élogieuse du second roman de Julien Gracq, Un Beau ténébreux, dans la revue Fontaine (n°43) en juin 1945.

Les quatre premières lettres, datant de l'immédiat après guerre, témoignent de leur première rencontre et de tentatives de collaboration dans Combat.

Dans la cinquième il est question de l'essai consacré à "André Breton" que Julien Gracq venait de terminer et qui sera finalement édité par José Corti en janvier 1948 (achevé d'imprimer le 23 décembre 1947). Dans la suivante, Julien Gracq demande à Maurice Nadeau de lire un roman fleuve écrit par un de ses amis afin de lui communique son avis.

Viennent ensuite des lettres de remerciement pour Le Roman français depuis la guerre de Maurice Nadeau paru en 1963 chez Gallimard et des chroniques de Lettrines (en 1967) et Lettrines 2 (1974). La dernière, virulente lettre rédigée en 1994, précise les raisons du refus de Julien Gracq de participer à un recueil de morceaux choisis, sponsorisé par un marchand de bagages de luxe, intitulé "Voyager avec...".


1. LAS, Caen vendredi [circa 1945]: « Cher Monsieur / Je m'excuse de vous avoir sans doute dérangé inutilement. J'avais prêté "Arcane 17" et n'ai pu le récupérer à temps avant mon départ. Si j'arrive à remettre la main dessus, je pourrais, Je l'espère, vous le passer au début de février - mais il sera bien tard pour vous. Bien sympathiquement, L. Poirier ».

2. LAS du 8 décembre [1945]: « Cher monsieur / Je crains bien de n'avoir rien qui puisse vous convenir. J'avais ces temps-ci quelques textes courts, mais Parisot me les a réclamés pour un numéro spécial des 4-vents et je n'ai plus rien de sortable. [...] Je vous ai manqué de peu hier chez Corti et je le regrette, car j'aurais été heureux de faire votre connaissance. À tout hasard, Je vous indique que je suis à Paris jusqu'à mardi prochain À l'hôtel de Victoria [...] Mais on ne m'y connait pas sous mon pseudonyme. Si vous vous trouvez passer dans le quartier, je serais heureux de vous voir. [...] ».

3. LAS du 1er juillet [1946]:« Cher ami, / du moment que votre invitation prend une forme aussi agréable à ma paresse naturelle, je l'accepte avec plaisir. J'ai vu d'ailleurs votre première page littéraire [en juin 1946, Maurice Nadeau se voyait confié l'animation d'une page littéraire hebdomadaire dans Combat] et l'ai trouvée fort réussie, tout en regrettant un peu de n'y pas trouver de Breton "ne divinus" je veux dire réacclimaté à Paris. Je serai à Paris de vendredi soir à dimanche ou lundi. Voulez-vous que je passe chez vous samedi à la fin de la matinée (vers 11 heures) je serais content de bavarder un peu avec vous et nous pourrions voir ensemble si ce qui peut se détacher du texte. [...] L. Poirier ».

4. LAS du 17 juillet [1946]: « St Florent le Viel, 17 juillet / Cher ami, / si quelque chose peut vous y convenir, choisissez dans le fouillis que je vous joins. Tout cela est d'un ton bien disparate, et il y a beaucoup de déchet - si vous préférez vous abstenir vous ne me vexerez nullement. Toutefois, si vous en retenez quelque chose, dites moi quoi, et demandez aux "Cahiers" de m'envoyer les épreuves pour correction, car j'y tiens depuis que j'ai eu des ennuis avec "Confluences" (une cinquantaine de coquilles en 12 pages). Ne perdez pas de vue que la plupart de ces papiers seront inclus dans le petit recueil que Corti doit sortir en octobre : si les cahiers du PS doivent sortir après cette date, l'affaire devient donc sans objet. Je vous remercie de la présentation du Lautréamont dans Combat Elle était très correcte. Je ne pense pas à la réflexion que je répondrai, officiellement au questionnaire, malgré l'intérêt que j'y perds : la raison est que j'ai déjà refusé à mon vieux camarade Fauchery de répondre à l'enquête analogue d'"Action" [...] ».

5. LAS du 11 mars [1947]: « Paris, 11 mars [1947] / Cher Monsieur Nadeau, G. Picon a dû vous entretenir de ce "Breton" que j'ai accepté, puis refusé de faire, et finalement écrit pour sa collection. Il m'a dit que vous n'aviez pas commencé le livre et ne voyez aucune difficulté à y renoncer. Mais j'aimerais mieux, avant de m'engager avec le "Sagittaire", en avoir de vous confirmation directe. Je serais désolé qu'il y ait à ce sujet un malentendu. Il m'est tout à fait indifférent de paraître au Sagittaire ou chez Corti, qui accepterait également de publier le livre, - et si vous aviez envie de faire ce livre - je ne veux absolument pas être cause que vous y renonciez. Le sujet est assez vaste, et de mon côté j'ai conscience de n'avoir traité qu'une partie.

J'espère vous revoir un de ces jours. On m'a dit que vous aviez changé de domicile, mais je ne connais pas votre nouvelle adresse. Je pense que cette lettre vous parviendra tout de même et vous portera mes amitiés Julien Gracq / Hôtel Victoria 14, rue Gay Lussac ».

6. LAS du 8 mai [1947]: « Paris, jeudi 8 mai [1947] / Cher Monsieur Nadeau / Un de mes amis me prie de vous écrire. Il a écrit un roman, fort long, qui jusqu'ici n'a pas trouvé d'éditeur. Je l'ai lu pour ma part - il m'a intéressé - bien qu'il soit très éloigné de ce qui me touche habituellement, et d'une forme assez ingrate. Mais comme il y est question sous un déguisement transparent, de gens connus de moi, je ne puis faire au juste dans cet intérêt, la part de la curiosité et de l'indiscrétion. Il souhaiterait que vous lisiez le manuscrit et pense que si quelqu'un peut s'intéresser à sa tentative, c'est vous. Il est un de vos lecteurs fidèles de la R. I. [Revue Internationale] et a été très frappé en particulier (c'est ce qu'il m'écrit) par l'article que vous avez publié dans le numéro 13, et avec lequel il est entièrement d'accord.

Voulez-vous lire ce manuscrit ? Dans son esprit, il ne s'agit nullement de l'aider à trouver un éditeur; je crois qu'il veut seulement être fixé sur la valeur de ce qu'il a fait - et a particulièrement confiance en vous pour en décider. Je sais que vous avez beaucoup à faire, et je vous avertis qu'il s'agit d'un ouvrage de 1000 pages. Je comprendrai naturellement fort bien que vous vous récusiez devant une pareille entreprise, et qui peut être mal récompensée ! Mais il m'a prié de faire cette démarche, et je le devais à l'amitié.

J'espère que nous verrons bientôt votre Sade. Hoog me dit que vous avez édité des textes sensationnels et j'espère vous rencontrer de nouveau un de ces jours.

Excusez cette démarche si elle vous paraît trop indiscrète et croyez moi bien cordialement vôtre Julien Gracq ».

7. CAS non datée [1963]: « Je vous remercie de l'envoi de votre ouvrage Le Roman français depuis la guerre - un sujet qui était bien difficile à traiter dans ce cadre limité. Je l'ai lu avec bien de l'intérêt ».

8. CAS du 7 juin [1967] à propos de l'accueil de Lettrines (article de juin 1967 dans la Quinzaine Littéraire): « non, je ne déteste pas à ce point la corporation des critiques - puisque je fais parfois aussi de la critique en amateur. Je n'aurais pas en tout cas pas à me plaindre d'elle pour Lettrines; et je tenais à vous remercier d'avoir réservé un accueil si large et si compréhensif à un ouvrage qui ne pourrait avoir de bien grande prétention. J'ai été très sensible à votre article, je vous en remercie encore bien vivement. Julien Gracq ».

9. CAS du 29 juin [1974] à propos d'un article sur Lettrines 2 paru dans la Quinzaine Littéraire: « Cher Maurice Nadeau / je réponds sans conviction a votre questionnaire : je suppose que cela passionne beaucoup plus que moi - très légitimement sans doute - Mmes Duras et Gauthier. Je ne crois vraiment pas qu'il y ait intérêt à publier ses réponses : simple témoignage de bonne volonté. Les deux sexes mourront chacun de leur côté sans avoir apuré leurs comptes (et littéraires en plus ! C'est sans aucun espoir). C'est du moins une occasion de vous remercier pour le compte rendu de Lettrines 2 dans la Quinzaine : J'y ai été d'autant plus sensible que ce petit recueil ne pouvait guère prétendre être dans le fil de vos préférences. Cela m'a fait plaisir très sincèrement. Julien Gracq ».

10. LAS du 20 février 1994, enveloppe conservée. Julien Gracq refuse de participer à un recueil de morceaux choisis intitulé "Voyager avec ..." : « Cher Maurice Nadeau / La nouvelle que vous m'apprenez ne peut être en effet pour moi qu'une complète surprise. Vous aviez demandé autrefois à la librairie Corti l'autorisation de faire paraître un recueil de morceaux choisis de mes livres sous le titre "Voyager avec...". Ce recueil devait voisiner, dans une collection, avec un choix analogue de Jünger et de quelques autres. Cet ouvrage n'était pas, pour Monsieur Fillandeau [successeur de José Corti] et pour moi, d'un intérêt particulier, et nous écartons le plus souvent ce genre de projets. Nous avons fait une exception en faveur d'une maison d'édition un peu austère, mais indépendante et exigeante dans ses choix. Il n'était alors aucunement question d'un ouvrage luxueux. Votre projet a apparemment, chemin faisant, changé de nature, puisque vous semblez avoir fait appel, pour le financer et l'élargir, à un industriel en bagages de luxe fort connu, qui entend évidemment, et c'est compréhensible, utiliser votre collection pour la promotion de sa maison. Cela se fait pour les voiliers de courses et les équipes de football et c'est évidemment licite, à condition que les porteurs de sigles publicitaires en soient expressément et préalablement d'accord. Or, vous n'avez à aucun moment averti de ce changement projeté, et vous ne m'avez demandé aucun accord. Ma réponse sera claire : c'est le refus catégorique du projet en cours de réalisation. Le livre à paraître a fait l'objet d'un accord entre le libraire Corti d'une part, et d'autre part votre maison d'édition - personne d'autre ; il doit paraître sous votre seule marque et sans traces aucunes de "sponsorisation" à fins publicitaires plus ou moins voilées. Telle est ma position. En regrettant que surgisse ce très sérieux différend qu'il revenait évidemment à vous d'éviter dès son origine, je vous prie de croire à mon excellent souvenir. Julien Gracq ».

2 400 €