MALET (Léo)

Cinq lettres à Maurice Nadeau à propos de La Vie est dégueulasse

du 20 octobre 1947 au printemps 1948

5 LAS au format in-4 et in-8 formant un ensemble de 5 pp. et 1/2

Cinq lettres autographes signées adressées à Maurice Nadeau à propos de La Vie est dégueulasse, roman paru en 1948 à la SEPE.

Maurice Nadeau en rendit compte dans un article du 9 avril 1948 dans Combat : "Léo Malet, lui, qui, dans le genre "policier", est un auteur arrivé, a voulu s'essayer au roman tout court avec un ouvrage au titre agressivement désespéré : La Vie est dégueulasse. Il aurait voulu le qualifier par antiphrase de "roman doux" à la façon de ses contes d'un humour grinçant qu'il donnait à La Rue. On ne refermera pas son roman sans un sentiment de malaise difficile à élucider et qui tient surtout à la personnalité de son héros. Ce "gangster à la mie de pain" qui, par ses crimes, alimente la caisse d'une organisation révolutionnaire et s'acharne avec une sauvagerie inouïe sur ses victimes, est incontestablement un malade dont une psychanalyse hâtive révèle d'ailleurs à l'épilogue le secret. Persécuté, impuissant, revendicateur, nécrophile, il tient du "Popeye" de Sanctuaire, de Lacernaire et d'Eugène Weidmann (l'énigmatique "tueur" de La Voulzie). Le monde entier constitue l'objet de son combat nihiliste; il voudrait le faire sauter dans une explosion gigantesque à la mesure de son incommensurable complexe d'infériorité. Nous sommes au-delà du désespoir philosophique, dans des régions où l'on hésite d'appeler le lecteur à s'engager. Qu'il tente l'aventure à ses risques et périls! Il y est préparé par James Hadley Chase et toute une littérature américaine de "thrillers" dont Léo Malet ne s'est certainement pas inspiré, mais dont on ne manquera pas de le rapprocher. Dans ce genre un peu particulier, l'auteur montre de réelles qualités de romancier et d'écrivain.

LAS : "20 octobre 1947 / Mon cher Nadeau, Très flatté de ta lettre. Tu veux donc me libérer de mon complexe d'infériorité ? (personnellement, je me demande si j'y tiens. Après tout, c'est le plus clair de mon sex-appeal) les éditions du Pavois, foutre ! Ça me séduirait assez. Mais d'ores et déjà, et sauf cris d'orfraie poussés par Roger Giron et Jacques Decrest, mon roman doux est accepté par le patron de la SEPE. D'ailleurs, ce bouquin n'entre pas dans le cadre de la collection que tu diriges. Ce n'est pas le chemin de la vie, mais celui de la mort. Histoire d'un châtré très moral, persuadé [de] ne pas pouvoir faire jouir les filles, refusant d''y croire lorsqu'il y parvient, sa vie n'est qu'un long suicide, avec amour désespéré, ivrognerie et sadisme. Et nécrophilie. J'oubliais nécrophilie. Très important. C'est tout le bouquin. Non, pas le chemin de la vie pour un maravédis... Ou plutôt si. Ce qui n'arrange pas les choses. Je suis très heureux, toutefois, que tu ai[es] pensé à moi pour ta collection. Mais tu me surfais... Et la cote littéraire de mon truc doit plutôt laisser à désirer. Je te le donnerai tout de même à lire un de ces jours, lorsque la grève des transports me débloquera de Chatillon. Si le téléphone de Combat fonctionne un peu mieux que précédemment, nous prendrons rendez-vous au canard. Bien à toi et merci encore. Léo Malet".

LAS : "Vendredi / Mon cher Nadeau, C'est un peu abusivement que j'ai qualifié La Vie est dégueulasse (à paraître en février, à la SEPE), de roman doux. Abusivement, dans la mesure où ce texte ne correspond pas exactement de forme et d'esprit à mes écrits "doux" de La Rue. Est ce qu'un… disons "vrai roman doux", c'est-à-dire tout à fait conforme aux trucs de La Rue, aurait des chances d'être publié au Pavois ? J'en ai un dans la tête depuis longtemps. Ça s'intitule Le Soleil n'est pas pour nous. Sujet : l'adolescence clocharde (1927). Je puis l'écrire très rapidement. Malheureusement, je ne sais pas tirer à la ligne et ce texte n'excéderait pas 150 pages d'une justif. courante. Mais on pourrait peut-être y adjoindre les contes et souvenirs publiés dans La Rue. Ton avis ? Bien à toi /  Léo Malet".

LAS : "Mon cher Nadeau, Dégoûté du téléphone, je me déguise en mère de Sévigné. Abandonnant momentanément Nestor Burma, Je termine un roman doux dans le genre de mes textes de La Rue (qui repart d'ailleurs. Tu dois en être informé), roman doux anarcho- freudien l'illégalisme anarchiste et au désespoir sexuel, intitulé La Vie est dégueulasse ou Camarade Browning. Je ne suis pas encore fixé. Peux-tu en tenir compte dans tes informations litt. ? Gracias. Leo Malet. P.S. Strictement personnel - j'écris ce bouquin parce que j'en ai plein le cul, de l'existence".

LAS, 14 novembre 1947 (cachet de l'enveloppe conservée) : "Je n'hésite pas à me fendre encore de six balles pour te communiquer (j'ai oublié de le faire dans ma lettre d'hier) un mot que tu pourras utiliser à l'occasion : Armand Pierhal, le nain littéraire bien connu. A toi / Léo Malet".

LAS, s.d. [circa mars-avril 1948] : "Mon cher Nadeau, Je t'ai déjà exprimé le peu de goût que j'ai pour les articles de complaisance. Je me vois obligé de t'en demander un tout de même (dans la mesure, toutefois, ou le bouquin vaut quelque chose, si peu que ce soit. Sinon, inutile). C'est pour contre battre la conspiration du silence et le boycottage systématique dont ce roman est la victime de la part des libraires. Mais, je le répète, dans la mesure où ce livre vaut quelque chose. Si tu l'estimes sans intérêt, passons. Bien à toi. Léo Malet".

On joint une sixième lettre autographe signée au ton humoristique : "j'avais oublié ces trois sacs en vadrouille. (Il y en a tellement.) Une partie vendredi et le solde en fin de mois, peut-être avant, est-ce que ça va? Sauvage me prie de te communiquer son adresse new-yorkaise : 315 West 102 Street New York 25 N.Y. Il aimerait savoir où en sont les choses au sujet de son livre sur le cinéma. Feu Malet".

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