CALAFERTE (Louis)

Correspondance adressée à Maurice Nadeau

d'avril 1954 à août 1965

23 LAS et 2 LS au format in-4 formant un total de 34 pp.

Importante correspondance adressée à Maurice Nadeau, composée de 23 lettres autographes signées et de 2 lettres signées.

Dans les deux premières lettres, Calaferte remercie Nadeau pour sa chronique de Partage des vivants, seul écho favorable paraissant alors dans la presse qui semble l'ignorer. Il évoque également une collaboration aux Lettres Nouvelles.

Dans les suivantes, il est d'abord question de Septentrion, livre qui lui a demandé de nombreuses années de travail, de son échec et de son interdiction, d'une pièce de théâtre, qu'il espère un temps voir montée par Geneviève Serreau et surtout de la publication de No man's land, recueil de récits qui sera édité par Maurice Nadeau aux Lettres Nouvelles fin 1963, d'Ouroboros, un poème difficile dont Maurice Nadeau publiera des extraits en revue, de Rosa mystica et de Satori qui seront édités par Denoël en 1968.

Durant les années 1962 à 1965, Maurice Nadeau sera la seule personne qui apportera un soutien sans faille à Louis Calaferte. C'est à lui que l'écrivain donnera à lire ses manuscrits, demandera conseil, s'en remettra pour être publié.

Les documents autographes d'importance de Louis Calaferte sont rares. L'ensemble ici proposé est d'une importance capitale à la compréhension de son travail d'écrivain.

LAS avril 1954 à propos de sa chronique de Partage des vivants et d'une collaboration : "St Didier en Velay / Avril 1954 / Cher Monsieur Nadeaux (sic) / Je ne reçois qu'aujourd'hui votre lettre car je suis à la campagne et dans un bled perdu où les nouvelles n'arrivent qu'avec quelques jours de retard. Je ne vous cache pas que la demande que vous me faites d'un article m'a fait très plaisir et je suis content que ce soit vous qui me le demandiez, car j'ai su par Monsieur Julliard et par Yvette que vous aimiez mes livres. laissez moi, en même temps, vous remercier de votre article dans l'Observateur sur mon livre. Je vais écrire le papier que vous me demandez et vous l'aurez dans quelques jours. Je vous le ferai parvenir chez vous et s'il vous plaît vous le ferez passer. Seulement sans le problème du roman et de la réalité, je ne peux parler que de mon travail car je me méfie le plus souvent des généralisations par crainte du manque de justesse dans le jugement; ce serait plutôt le rôle d'un analyste, or, je n'ai pas le talent de la critique - et je dois être le seul de ma génération si j'en juge par le flot ravageur des obscures mais opiniâtres signatures qui frappent, sous le sceau de la condamnation ou de l'enthousiasme hebdomadaires les innocentes colonnes des journaux littéraires. Dans ce cas, je ne peux parler, en somme, que de ma brève expérience du métier d'écrire. Je tiens très régulièrement un "Journal" qui est plein de notes à propos de la création artistique qui, depuis que j'écris, est un des problèmes - avec celui du devenir de l'homme - qui me passionne le plus. Si toutefois la forme de ce papier ne vous convenait pas, soyez gentil : n'hésitez pas à me le dire si vous avez une minute pour me passer un mot. Voilà une bien grande lettre pour si peu d'explications, mais je tenais à vous dire tout ça. Merci encore d'avoir pensé à moi. Mon amitié vraie. Louis Calaferte. Je joins ma nouvelle adresse à tout hasard : 27 avenue de la gare Saint Didier en Velay Ht Loire".

LAS s.d. : "Cher Monsieur, Je suis désolé de vous envoyer ceci chez Julliard, mais je n'ai pas retrouvé la lettre où vous me donniez votre adresse. J'espère que ces quelques pages vous conviendront. Serez-vous assez aimable pour me le dire dans un petit mot. En vous remerciant d'avance. Meilleures salutations. Calaferte".

LAS Mai 1954 : "Cher Monsieur Nadeau, Tout à fait d'accord pour les rectifications que vous proposez sur mon "papier". Je m'excuse de ne pas, plus tôt, vous avoir répondu, mais votre lettre, qui portait mon adresse actuelle, a été envoyée, par la maison Julliard, à mon ancienne adresse à Lyon. Le temps qu'elle me soir réexpédiée !... Je suis heureux que vous proposiez de publier un passage de mon roman ou une nouvelle. Je travaille effectivement un nouveau livre et d'ici peu, je vous enverrai le début car le manuscrit n'est pas complètement terminé. J'ai aussi une nouvelle, mais qui ne me paraît pas très bonne. [...]".

LAS 7 septembre 1962 : "Cher Monsieur Nadeau, Je suis réellement touché de l'attention que vous me manifestez. Cela m'encourage beaucoup. Quant à votre lettre, elle m'a amusé. Je dois dire que je n'étais pas emballé de ma trouvaille, Bien que je me sois creusé le carafon. Mais hélas en vain ! Mythegologie !!! Dans mon esprit, c'était composé de "Ego" (le "moi") et devait - en principe - signifier (en toute simplicité!!!) "Mythologie du moi" et "Solsticielle" par ce que j'y attachais un sens occulte, m'occupant beaucoup de ces questions depuis près dix ans. Bon. Vous avez raison et mille fois raison. N'en parlons plus. C'est prétentieux et tout ce que vous voudrez. Ça ne tient pas. J'en conviens d'autant plus aisément que je n'étais pas très heureux de ce titre. Supprimons (Moi qui ne qui me vante d'avoir de bons titres!) L'ennuyeux, maintenant c'est que je n'ai pas de titre du tout et que j'envisage pourtant une sorte de composition cyclique donc "Septentrion" sera le premier volume, et "no man's land" le second et "Satori" le troisième auquel je suis en train de travailler. Puis, si Dieu le veut, il y aurait un autre grand livre auquel je pense depuis trois ans maintenant, pour lequel j'ai environ 200 pages de notes etc. (Grande ambition - bien que j'aie cessé d'être ambitieux dans le mauvais sens du terme - mais c'est une autre histoire...) Pourrait-on attendre jusqu'au dernier moment pour le faux titre ? Peut-être que je vais avoir une trouvaille ? En tout cas je vais chercher. Sinon, tant pis. On laissera ça comme ça. Ce qui, d'ailleurs, n'a d'importance que pour moi. C'est un jeu de l'esprit, mais qui me permet de situer dans un tout, car dans une roue graduée, ce que je fais ou veux faire. Nous verrons. Merci tout de même de m'avoir dit ce que vous en pensiez. En ce qui concerne le livre, j'aime beaucoup la couverture jaune que je trouve très jolie - ensuite elle est la couleur symbolique lunaire (ainsi que le blanc d'ailleurs) mais je préférerais le jaune. Pour le reste, c'est comme vous l'entendez. D'ici un peu de temps, si vous le voulez, j'espérerais vous faire parvenir deux choses. Ce sont deux poèmes. L'un "L'Évangile métropolitain" est un poème de 25 pages. L'autre "Rosa mystica" est un point de 15 pages. S'il y avait moyen d'en faire quelque chose. Mais d'abord j'aimerais que vous puissiez en prendre connaissance et que vous me disiez votre opinion sincère. Et puis j'aimerais beaucoup bavarder avec vous de tas de choses qui sont pour moi des projets possibles... mais j'ai peur d'oser. J'ai en moi des univers fous. Des flots de verbe. Mais je n'ose pas me laisser aller, pensant que je perds mon temps et que personne ne voudra de ça. Je reste toujours "en-deçà" par timidité. L'échec total de Septentrion a été un coup rude pour moi dans le sens de mon travail et non pas dans le sens du gain ou du public auxquels je ne pense guère. (la preuve en est qu'à notre époque, moi, j'écris des poèmes ! Il faut être dingo !) Bonjour cet hiver à Berlin une pièce de moi en un acte "Clotilde du Nord" que j'avais fait jouer à Paris et qui avait été un four monumental ! C'est un ensemble allemand qui me la demandée. Rien d'autre. Je travaille tant que je peux et ma santé n'est hélas pas brillante. J'ai tout de même obtenu de Pierre Javet 50 000 fers. (ancien!) par mois pendant 6 mois ! Ce qui revient à dire qu'en six mois je dois écrire un livre ou alors je passe pour un "pompeur" d'argent. Merveilleux ! Enfin, il faut se dire que c'est sûrement déjà bien joli de recevoir ça de gens qui ne gagnent pas d'argent avec votre malheureuse prose ! Merci à vous, vous êtes très gentil et j'y suis sensible. Calaferte".

LAS du 26 novembre 1962 : "Cher Monsieur Nadeau, Je voulais vous écrire sitôt mon retour mais je sors tout juste d'une grippe terrible qui m'a couché un bon bout de temps. Je veux vous remercier de tout ce que vous m'avez dit. Non pas à cause des compliments mais par ce que vous m'avez - et vous avez ici le seul ! - parlé de mon travail, de mon possible travail sur le ton que j'aurais aimé trouver dans la maison Julliard - hélas !... Je vous suis infiniment reconnaissant de votre attention à mon égard. Vous m'avez fait un bien énorme en me parlant. Non seulement pour mon livre achevé mais pour ce que j'écris actuellement. Je suis dans la plus totale la plus absolue solitude depuis 10 ans. Je vis pour écrire. Mais je doute sans arrêt de moi-même, sans vous j'ai peur de m'égarer, j'ai peur de n'avoir pas la force [?] nécessaire pour faire ce que je sens en moi d'enraciné. L'écriture est ma vie. Elle est ma vie à un degré que personne ne sait. Je crois être un artiste total par ce que mon existence est nouée autour de mon travail et qu'ils se confondent. Malheureusement, un homme a besoin d'être entendu dans ce qu'il considère comme essentiel pour poursuivre avec foi. Vos paroles ont été pour moi un coup de fouet. On avait rendu heureux. Merci. On a hélas besoin de ce succès - fût-ce compris d'une seule personne - pour oser continuer et aller plus loin. Vous savez il y a beaucoup d'instants où je n'ose pas me laisser aller librement dans l'écriture parce que je sais trop que je ne sais rien, que je ne représente rien et que ma voix est nulle. Ce sentiment est absurde en soi, je le sais, mais c'est tout de même pour moi un frein redoutable. Si je savais qu'on m'approuve dans ce que je fais, je crois que je ferais mieux encore. Sans le savoir, Monsieur Nadeau vous avez été la première personne depuis 10 ans à me dire que j'étais dans la bonne voie. Soyez remercié. Calaferte. Septentrion doit paraître chez Tchou. J'ai reçu un contrat de Javet. Malheureusement ils ne tirent qu'à 2.000 exemplaires à 4500 francs. Ce n'est pas encore "l'indépendance du poète" !!! Tant pis ! J'ai de vous une adresse qui date de longtemps déjà. Peut-être n'est-ce plus la bonne. Je mets la mention : "faire suivre"".

LAS s.d. [janvier-février 1963] : "Cher Monsieur Nadeau, J'apprends de M. Mayard que vous avez eu un service de presse de mon livre : Septentrion. Je devais venir à Paris signer, mais j'ai été une fois de plus malade. Mon intention était de vous dédicacer un livre pour la gentillesse avec laquelle vous avez bien voulu bavarder avec moi. Aussi je vous fait parvenir un exemplaire nouveau. J'ai achevé et je suis en train de corriger un livre de récits mais qui est d'une nature spéciale par le ton et la forme. Je voulais vous demander si vous accepteriez, d'ici quelques semaines, de lire le manuscrit de ce livre avant quiconque. Si cela vous ennuie, dites-le moi ouvertement. Je m'adresse à vous parce que vous avez toujours manifesté de l'attention à mon travail et vous ne saurez jamais exactement quel bien vous m'avez fait lors de cette rencontre du mois de novembre. Je vous fais suivre l'exemplaire que je vous réserve. Mes meilleurs sentiments. Calaferte".

LAS du 28 février 1963 : "Cher Monsieur Nadeau, Merci de votre lettre et de votre gentillesse. Oui l'édition de "Septentrion" est très belle, mais je ne sais pourquoi, je reste bizarrement inquiet vis-à-vis de ce livre. Ça a été une telle aventure intérieure pour moi ! Je vais commencer à dactylographier au propre mon recueil de récits, qui a pour titre général : "No man's land", et je vous l'enverrai aussitôt puisque vous avez accepté de me lire, ce dont je vous suis reconnaissant car je travaille dans une totale solitude. Je vous écrirai au sujet de ce nouveau livre pour vous expliquer sous quelles conditions d'esprit il a été composé - car c'est un livre encore assez particulier par ce ton. J'accepterais volontiers un exemplaire de "Sexus" si vous en avez un, car lors de sa parution j'étais à Paris mais je n'avais pas assez d'argent pour l'acheter. Puis, peu après, il a disparu des librairies. Si vous venez à Lyon, bien entendu j'aimerais beaucoup vous voir. Sachez que je suis excessivement sensible à l'attention que vous me manifestez. Merci. Calaferte".

LAS 22 avril 1963 à propos de la réception de Septentrion, de No man's land et d'une pièce de théâtre : "Cher Monsieur Nadeau, j'achève enfin le long pensum de la dactylographie et des premières corrections de mon livre de récits. Je vous l'envoie. Inutile de vous dire que votre avis me sera précieux. Je sais que je vais vous importuner avec cela, mais j'aimerais que vous me renvoyiez l'épreuve dactylo quand vous aurez fini de la lire, car je n'en ai en tout et pour tout que deux exemplaires. Je pense publier ce livre dans les mois de la rentrée. Aussi j'avertis M. Javet de sa finition, si tant est que la maison Julliard (qu'en reste-t-il !!) veuille encore de moi ! Septentrion a donc été un échec complet. J'ai eu en tout et pour tout 2 articles ! Deux articles - dont un très désagréable. Sans y mettre la moindre vanité j'avoue que je ne m'expique pas ce silence. Après la grande audience de mes deux premiers livres ! J'estimais que - sur le seul plan de l'écriture - cela méritait mieux. Et au moins qu'on m'en fasse mention ! J'avoue que je suis dans le trente sixième dessous ! Cinq années de travail scrupuleux ! Pour ça ! Pour rien ! Enfin… j'ai eu la satisfaction de me grandir moi-même… il faut bien me contenter avec quelque chose ! Si j'avais pondu alors à la va-vite une histoire bien torchée et mal écrite, on se serait vraisemblablement penché dessus avec attention ! L'art ne sert qu'à soi - c'est l'évidence ! J'en viens à me demander si je suis ou non un écrivain de qualité ! Sûrement pas - la preuve ! No man's land, que je vous envoie est d'un ton différent. Et maintenant est-ce que je puis abuser de la gentillesse que vous m'avez témoignée ? J'ai scrupule à le faire, croyez-le, car j'ai horreur de "taper" les gens. Mais hélas je ne connais personne dans Paris et vous êtes le seul à m'avoir tendu la main. Si je vous ennuie trop dites-le moi, nous n'en parlerons plus. Voici de quoi il s'agit ! J'ai une pièce de théâtre prête. Mais : 1) c'est une oeuvre difficile. 2) Elle exigerait un excellent metteur en scène. 3) Elle exigerait deux acteurs hors pair. Dans la logique, je pense qu'il faudrait [?] en relation avec un metteur en scène de valeur susceptible de s'intéresser à l'oeuvre qui est très spéciale et peut être déroutante à priori. Ce que je voulais vous demander comme un service, c'est si vous connaissez quelqu'un dans ce qu'il est convenu d'appeler : "le théâtre d'avant-garde" ? Si oui, serait-il possible de [?] des relations ? Ne voyez pas de l'impudence dans cette demande, mais je ne sais à qui m'adresser. Naturellement, cette pièce, si vous en consentez, est à votre disposition - mais j'ai tout l'air de vous accabler sous mes pauvres textes ! Est ce que vous voudriez être assez gentil pour me répondre ? Évidemment, personne n'a encore lu cette pièce. Et il est évident aussi que la lecture ne donne pas toute l'ampleur de mes intentions, car le ton en est excessivement particulier et il faudrait que je la lise moi-même à qui voudrait s'y intéresser éventuellement pour "déblayer" au moins la première optique qui est la mienne. Tout cela est compliqué et je ne suis guère à la hauteur de toutes ces "tractations" que j'envisage. J'ai l'intention d'aller à Paris courant mai. Pour mon livre et aussi pour cette pièce. Si vous le permettez, je vous avertirai de mon passage car j'aimerais beaucoup vous rencontrer, vous vous en doutez. Voici ce que je voulais vous dire. Je vous demande de croire que mon intention n'est pas d'agir envers vous avec sans-gêne. Calaferte".

LAS 18 mai 1963 : "Cher Monsieur Nadeau, Je pensais avoir le plaisir de vous rencontrer mardi prochain car j'avais rendez-vous avec M. Javet. Mais ma santé est telle que tout déplacement m'est strictement impossible. Je suis à demi-crevé. On me bourre de piqûres. Follement gai ! J'écris à M. Javet en lui disant que peut-être vous pourriez lui faire passer le manuscrit de "No man's land", puisque je ne vais pas à Paris. Si cela vous ennuie j'en ai un autre exemplaire que je peux lui envoyer, mais je pense que de cette façon ça vous éviterait de me le réexpédier. Au moment où je vous avais écrit, j'avais également écrit à Yvette Bessis pour la question de la pièce. Elle me répond exactement ce que vous m'avez répondu : que G. Serreau était mieux placée que quiconque. Il va sans dire que j'attends, avec crainte, votre jugement sur ces deux choses, si vous le voulez bien. Je pensais pouvoir en parler avec vous, ce qui aurait été plus agréable. Hélas, il est prouvé que je ne tiens pas le coup ! Si je vais mieux, (cela ne sera pas avant un mois, selon les toubibs !) j'essaierai de [?] à Paris... mais!... Toutes mes amitiés, cher Monsieur Nadeau, en déplorant encore de ne pouvoir vous voir. Calaferte".

LAS 22 mai 1963 : "Cher Monsieur Nadeau, Je vous persécute !! Les nouvelles que vous me donnez de ma pièce me semblent encourageantes. Mais sans doute aurais-je dû expliquer à mes intentions. J'ai recherché un mélange de froideur et de poésie. Dans la forme et dans la langue. Dans l'idée générale, j'ai voulu qu'il y ait la notion d'interpénétration des humains, de compénétration des individus - avec la confusion presque métaphysique qui en découle forcément - en faisant interpréter tous les rôles par deux personnages seulement. A priori, j'ai refusé la "progression" dramatique sur le strict plan "technique". Si la pièce était montée, il serait important de dégager la progression interne qui va de l'insensibilité au lyrisme, (la scène de la publicité devant être donnée comme lyrique) définissant ainsi le cycle d'une civilisation qui va, d'une sorte de gestation faussement intellectualisée à son épanouissement - disons nerveux, névrosé, névroïde, comme pourrait l'être des primitifs. La raison et la logique n'ont plus ici de place, parce qu'elles sont pour ainsi dire "défigurées". Cette pièce est à la fois la satire et l'optique tragique d'un monde moderne dévirilisé ! En effet, la pièce s'achève sur une note considérée (à tort ou à raison) comme essentiellement féminine et même lunaire ! Les larmes (par ailleurs, sont également un élément lyrique et un espoir de rédemption, dont les racines se trouvent pratiquement partout en filigrane dans la confession du langage. La pièce est "techniquement statique", son mouvement est à l'intérieur comme un homme immobile est pourtant en mouvement perpétuel à l'intérieur de lui-même. La valeur de cette pièce - si elle en a une!! - et donc très précisément graduée par la juxtaposition des différents langages ou, parfois, reviennent des leitmotiv de confession, comme une résurgence soudaine d'un chaos originel, symbolisé ici par la mécanisation. Il est évident que si la pièce était jouée, l'acteur aurait un rôle capital dans la transmission au public - par découlement le metteur en scène peut tout faire. Ce processus cyclique est également, dans une certaine mesure, celui de mes nouvelles (excepté "La Soirée chez Brandès") où l'onirisme se mêle au plan concret avec une fusion d'au moins trois types de langage. Il est évident qu'une recherche typographique serait même souhaitable - mais !!!... Je pense d'ailleurs qu'il n'y a pas de meilleur reflet du mouvement en spirales de la pensée et le ton serait être celui de mon prochain livre mais sur une étendue de 500 pages. Ce qui est loin d'être commode et va me demander du temps et du travail. En effet, votre remarque concernant "l'écriture automatique" pour employer une formule simple, correspond bien à ma tentative, mais sachant toutefois que rien n'est plus élaboré que l'écriture "automatique", par ce que procédant de la reconstitution intellectuelle pas l'interprétation poétique de l'univers subconscient– ou même de celui du rêve, carrément. Ceci dit je serais évidemment heureux si ma pièce pouvait être jouée - et j'espère!! Merci à vous de votre gentillesse. Bien cordialement. Calaferte".

LAS 25 mai 1963 : "Cher Monsieur Nadeau, Merci de votre lettre. Je ne vous cache pas la joie qu'elle m'a causée. Je suis toujours tellement anxieux que j'ai besoin de quelques encouragements. Maintenant, il y a une chose qui est importante, très importante à mes yeux : c'est la question de votre collection "Les Lettres Nouvelles". Je n'aurais jamais osé vous le demander, mais puisque vous avez la gentillesse de m'en parler le premier, alors je dis oui ! et mille fois oui ! Car si je ne craignais d'abuser, je vous demanderais de faire en sorte - vous seul le pouvez car moi, ma voix compte à peu près pour zéro ! - de faire en sorte que cela se réalise et que No man's land soit publié aux L.N.. Ce serait une belle satisfaction pour moi - si toutefois M. Javet accepte ! Mais je ne sais pas au juste comment ça se passe dans la maison. Si vous le pouvez, je vous en serais reconnaissant ! Quant à "Brandès", sa publication dans votre revue, serait naturellement la bienvenue pour moi ! Faites en tout comme vous l'entendez. Et laissez moi vous remercier encore. Bien sincèrement. Calaferte".

LAS s.d. : "Cher Monsieur Nadeau, C'est une excellente nouvelle pour moi - dont je vous remercie - de savoir que je vais être publié dans votre collection; et vous devez le comprendre. Je ne vous cacherais pas que je préférerais cette publication en Octobre-Novembre - si cela est possible. Espérons que No man's land ne disparaisse pas dans les ténèbres comme mon malheureux Septentrion ! Quoi qu'il en soit, je suis content d'imaginer la "couverture jaune". Je pense que pour ma pièce ça ne doit pas "marcher". Tant pis. Je m'acharne actuellement à mettre en ordre les éléments de composition de mon gros bouquin "Transfert" sinon en est encore qu'à la période des limbes et me demandera plusieurs années de travail - ce qui me força regretter amèrement la disparition ne René Julliard qui avait une autre conception du travail de ses écrivains et auprès duquel j'ai toujours trouvé une grande et généreuse compréhension... Ce qui n'est plus le cas. On travaillera tout de même puisque généralement c'est un accomplissement de soi que représente l'écriture. Mais il y a des moments bien durs dans l'indifférence manifeste de la part de gens dont ce devrait être la conscience que de se pencher amicalement sur quelqu'un qui écrit en plaçant au-dessus de tout les impératifs de l'art. (je crois que je retarde un peu sur l'époque !!! Mais Flaubert, le pauvre, se plaignait déjà - toute proportion gardée, ça va de soi !). Veuillez avoir la gentillesse de me dire si la parution en octobre est possible, auquel cas je vous serais reconnaissant de me faire renvoyer le manuscrit que vous avez entre les mains et qui n'a pas bénéficié des ultimes retouches que j'ai apportées par la suite. Je vous renverrai alors à un manuscrit définitif prêt pour l'impression - le voudriez-vous pour avant ou pour après les vacances ? C'est-à-dire fin août ou tout de suite ? Merci de votre attention pour moi. Ce n'est pas un simple mot de convenance, croyez-le, vous êtes le seul homme qui me témoigne un peu d'intérêt et cela n'a pas de prix dans mon esprit. Toutes mes amitiés. Calaferte".

LAS 10 août 1963 : "Cher Monsieur Nadeau, J'ai reçu le jeu d'épreuves de No man's land. Les corrections sont terminées. Je vous remercie. Je suis très heureux de paraître dans cette collection. Il y a simplement une grave inversion de texte à la fin de la nouvelle Dies Dominicus. Je l'ai signalée sur les épreuves. Je pense avoir le plaisir de vous voir bientôt à Paris, à la rentrée. Je voudrais vous demander s'il est possible sur la page : "du même auteur" de signaler d'une façon quelconque que Septentrion n'est pas dans le commerce - sans que ce soit volontaire de ma part. Je vous laisse juge. J'ai reçu la lettre de refus de G. Serreau pour ma pièce. Serait-elle assez gentille pour me renvoyer le manuscrit ? Merci à vous et croyez mes meilleurs sentiments. Calaferte".

LS 24 août 1963 : "Messieurs, Comme vous le demandiez, je vous retourne, corrigées, les épreuves de mon livre No man's land. Y aura-t-il un second jeu d'épreuves ? J'attire votre attention sur une grave inversion qui s'est produite à l'imprimerie, concernant la fin de la nouvelle : Dies Domonicus, à la fin de la planche 14. Je vous serais très reconnaissant de bien vouloir suivre attentivement le manuscrit. Par ailleurs, je joins à cette lettre la prescription de quelques modalités auxquelles je tiens essentiellement. Veuillez accepter mes remerciements et mes meilleures salutations. Calaferte". On joint le feuillet de prescription concernant le faux-titre (avec "Mythegologie solsticielle" en titre général) et la page "Du même auteur" où Septentrion est indiqué comme "hors-commerce".

LAS du 16 septembre 1963 : "Cher Monsieur Nadeau, Depuis ma dernière lettre, je cherche un titre mais en vain. Donc, je crois que le mieux est de s'en passer tout au moins pour No man's land. On verra plus tard. Anne Rives m'a écrit pour une histoire de contrat que je n'ai pas signé et me disant et mon livre ne paraît - en principe  qu'au mois de novembre ? Qu'en est-il réellement ? Toujours le manque évident de sympathie envers moi de la part de la maison. Pourquoi, bon Dieu ! Enfin... Je vous envoie l'un des deux poèmes dont je vous avais parlé : "Rosa mystica". L'autre l'Évangile métropolitain n'est pas dactylographié et je vous l'enverrai bientôt. J'aimerais avoir votre opinion sur ces deux travaux, et savoir s'il est possible d'en faire quelque chose ? Pardonnez-moi si je vous embête avec ma production mais la gentillesse que vous m'avez témoignée jusque-là a été pour moi un vif et réel encouragement. J'ai vu aujourd'hui Charles Juliet qui m'a parlé de votre livre sur Leiris. Auriez-vous l'amabilité de me le faire parvenir. J'aimerais le lire et j'en ferais un compte rendu à la radio où j'ai une rubrique littéraire assez écoutée. Ça me ferait plaisir de le faire pour un livre de vous. Juliet est un très gentil garçon, intelligent, mais difficile à suivre. Il ne sort pas de lui-même - ou peut-être n'y entre-t-il pas suffisamment. Il se débat avec des questions intelligentes mais dans une certaine mesure la pensée est nuisible à la création, aussi patauge-t-il beaucoup. À mon avis, c'est pourtant quelqu'un qui a quelque chose à dire mais qui n'a pas encore trouvé le "ton" de son expression. (l'ai-je trouvé moi-même ? Il est vrai que je suis moins intelligent que lui - sur le strict plan de la pensée analytique.) Inutile d'ajouter que j'attends votre avis sur mon travail avec fébrilité. Je souhaite que nous puissions nous voir à Paris peut-être prochainement. Bien à vous. Calaferte".

LAS 22 septembre 1963 : "Cher Monsieur Nadeau, J'ai reçu votre livre [Michel Leiris et la quadrature du cercle]. Merci. Merci surtout de la gentillesse intentionnelle de votre dédicace. Je prends des notes en le lisant pour établir une chronique radiophonique. Je consacrerai une "tranche" de 9 minutes à ce livre. Il y a tout un public que cela intéresse et je ferai de mon mieux. Je ne l'ai pas encore fixé, mais je pense que ce qui est surtout frappant c'est la vie et la lucidité de l'analyse que vous avez donné à la forme de cet essai. Il y a un travail de "re-création" à partir de la création de quelqu'un. J'essaierai de dégager cela pour le public des auditeurs qui, en général, m'écrivent en me disant qu'ils suivent mes avis et ne s'en repentent pas. Je joins à cette lettre le manuscrit de l'Évangile métropolitain. A ma [?] Je n'ai pas trouvé de titre génial pour couvrir Septentrion et N. M. L.. Tant pis. Nous verrons pour le prochain ouvrage. [...]".

LAS octobre 1964 : "Cher Monsieur Nadeau, Merci de votre réponse aussi rapide. C'est d'autant plus gentil à vous que vous devez être occupé, effectivement, par vos lectures ; de n'y avoir pas pensé. C'est entendu, je vous enverrai Satori. Non, il n'y a besoin d'aucune explication, ce n'est pas ce que j'ai voulu dire, et d'ailleurs votre jugement suffira. Je voulais simplement dire que j'aurais aimé spécifier, mais dans une conversation, la nature, la source, l'exigence de ce livre, [?] de cet écrit et aussi la nécessité de sa forme fragmentée. Sorti de là, qui sont toutes raisons intimes, le livre est évidemment autonome. C'est gentil de me dire qu'il il y a un intérêt autour de no man's land. Oui. [?] J'ai été contacté par un groupe de jeunes gens et de jeunes filles, étudiants, qui sont venus me dire qu'il me tenaient pour l'écrivain de leur génération, etc. Mais la jeunesse a des engouements. Ce qui il y a dans mon travail est plus secret, plus mystérieux - peut-être perçu par la jeunesse, qui, pourtant... Enfin, c'est un peu encourageant. Il y a des césariennes indispensables. Mon ambition serait d'être un des chirurgiens. Vous êtes bien gentil avec moi. Vous êtes bien le seul ! Certainement sur votre intervention, Mme Anne Rives m'a écrit. C'est d'accord. Je me suis consolé peut-être trop vite... Ils produisent. Merci encore je vous écrirai pour vous dire que je vous envoie le manuscrit. Croyez en mon amitié. Calaferte".

LAS 19 octobre 1964 : "Cher Monsieur Nadeau, Je comptais vous voir à Paris, où je devais aller. Ma santé m'en empêche. J'aurais pourtant aimé converser avec vous de diverses choses - et surtout, naturellement, de mon travail. Peu après votre passage à Lyon, oh je crois y avoir c'est en ce, j'ai achevé mon livre : Satori. De par sa conception, sa structure intime, il se rattache à No man's land et à Septentrion. Il en est, en quelque sorte, le troisième "volet". Mais il est, de par son caractère émotionnel, une sorte de "portrait psychique" de moi-même. C'est une œuvre à part, difficile, par endroits hermétique, Par ce qu'elle reflète, sans tricherie, un état individuel. Elle répond d'ailleurs, et s'est [?] en moi, à trois sources différentes dont on peut, je crois percevoir à sa lecture les trois tonalités. Mais tout ce que je pourrais en dire, vous dire, en parlant, devient sous la plume prétentieux. Voulez-vous me lire? Car je pense, depuis l'achèvement de ce livre, voilà plusieurs mois déjà, qu'il ne faut se heurter qu'à l'épaisseur hostile à mon égard de la maison Julliard (comme du reste No man's land) et que seul pouvez l'aider. Dites-moi quand cette lecture vous gênera le moins et je vous l'enverrai. On se conduit, chez Julliard, avec moi d'une manière dominante qui me peine beaucoup. Pourquoi ? On avait dit, avant les vacances, que No man's land devrait être traduit en allemand. Plus de nouvelles. J'ai écrit à Madame Anne Rives . Pas de réponse. Je ne sais donc plus rien de ce projet. Écrire encore m'humilie. René Julliard, de son vivant, avait toujours la courtoisie de répondre lettre par lettre. Maintenant, on fait comme si on voulait m'ignorer. Je n'ai pas l'âme d'un lèche-cul et me refuse à me traîner aux bottes d'un petit subalterne hystérique et sous-alimenté ! Quant à la bande de connards mal polis qui garnissent les bureaux, leur laideur physique explique pas mal de choses ! J'ai comme une vague idée que, ayant signé aucun contrat pour No man's land, ce limaçon de dortoir a voulu quand même avoir ma signature en me faisant miroiter une transaction - pour laquelle j'ai signé! Si c'est cela, Je vais quand même le voyage pour lui tartiner la gueule comme il le mérite ! Cette petite vesse de chambrée a besoin de leçon. Il faudrait, bien sûr, que je ne [?]. Mais je suis archi-crevé, ce n'est pas un vain mot. Tout voyage me terrorise par avance. Il faudrait que je me déplace avec des seringues! Je me laisse emporter... Je suis bien seul. Ça va jusqu'à ce que sa n'aille plus. Enfin !... Mais bien sincères amitiés. Calaferte. J'aurais aimé pouvoir vous parler de ce livre un peu particulier et qui répond à des exigences et à des impératifs que seule une connaissance de moi-même pourrait rendre plus clairs... Il y entre la part de la "voyance", vous comprenez, je pense, à demi-mot ?".

LAS du 5 novembre 1964 : "Cher Monsieur Nadeau, Encore moi ! - j'ai pour excuse la gentillesse que vous me témoignez. Je vais prochainement vous expédier le manuscrit de Satori. Mais, auparavant, je voudrais vous vous demander quelque chose de plus difficile. Satori, à mes yeux, est fixé (depuis de nombreux mois) il est donc déjà loin, bien qu'il reste à éditer. Pourtant, c'est autre chose qui m'occupe. Pour cela, c'est à vous que je m'adresse. Je travaille à une tentative littéraire qui a peu de précédents, du moins la connaissance (Joyce excepté) mais ma tentative à moi est plus complète en ce sens qu'elle est uniquement un volume sonore contenant une signification par la seule magie verbale. J'ai écrit à ce jour 84 pages dactylographiées de ce texte. Je vous envoie les 10 premières pages qui constituent le prologue. Car il est émotionnel pour moi, au point où j'en suis, de pouvoir juger de leur recevabilité. Vous comprendrez en lisant le texte. Tel que je le conçois, ce volume achevé compterait environ 130 à 150 pages dactylographiées. Ce que je voudrais, cher Monsieur Nadeau, c'est votre opinion de juge. Je sais qu'il est difficile de demander cela de but en blanc mais j'ai besoin de vous, parce que j'ai confiance en vous, en votre opinion. Soyez bien sincère, - je vous en remercie par avance. Je n'écrit pas dans le vide. Je n'écris pas pour écrire, vous le savez. (Mais vous ne me connaissez pas !) Si vous estimez que ce texte a son importance dans un [?] d'absolu littéraire, je vous demanderais donc de le passer en revue. Les Lettres Nouvelles me semblent tout indiquées pour cela. Mais, n'anticipons pas. Je crois qu'il y a une force poétique interne dans cette recherche. Ou je me trompe du tout au tout. L'essentiel en art n'est-il pas de créer des issues ? De faire des césures ? Je souhaite ne pas trop vous ennuyer. Satori va vous parvenir. Je corrige la frappe dactylographique. Très amicalement. Calaferte".

LAS du 14 décembre 1964 : "Cher Monsieur Nadeau, Je vois bien que ce n'est pas sans crainte que j'ai attendu votre réponse et, le temps passant, je forgeais moi-même les objections concernant le texte l'Ouroboros. Maintenant, cher Monsieur Nadeau, j'ai beaucoup à vous remercier. D'abord pour votre parfaite honnêteté intellectuelle, aujourd'hui je crois, si rare; est d'autant plus méritoire que Ouroboros, je le comprends bien, n'enlève ouf pas absolument votre adhésion. Je suis donc plus sensible encore à l'attention que vous voulez y porter. Il en allait de même pour No man's land. Je vous dois déjà beaucoup. Je ne vous dis pas cela dans le but de vous flatter, je me situe à une autre altitude quand il s'agit de l'Écriture. Sans doute, habitué que vous êtes à lire des textes, à en critiquer et en publier, ne savez-vous pas exactement quelle place vous êtes susceptible d'occuper dans l'orientation, dans la pensée d'un écrivain, comme, par exemple, moi. J'ai noté, dans mon Journal, il y a bien des années déjà, notre première rencontre, dans un bureau chez Julliard, où vous m'aviez alors félicité pour Requiem et mis en garde quant à l'avenir. Puis, je me suis vous enfoncez dans un silence qui fut une assez exceptionnelle aventure spirituelle; à l'issue de laquelle Septentrion a pris forme. Les années d'obscuration m'ont placé, au plan individuel, dans un retrait qui est un aspect de la pureté intellectuelle.  (que je condescends quand je gagne ma vie, [?] de quoi subsister à l'abri; c'est à dire de quoi écrire - est une autre question.) Notre rencontre, lors des difficultés d'édition de Septentrion a été dans ma vie d'écrivain quelque chose de très marquant. Comprenez que j'étais parti de Lyon un peu irrité, sans beaucoup d'espoir, et que le manque absolu de sympathie à mon égard des gens très superficiels dans la fantôm[atique] maison Julliard m'avait désarçonné. J'étais ultérieurement défait - et vous ne pouvez savoir à quelles extrémités atteint en moi la désespérance. Septentrion représentait pour moi plus qu'un livre ordinaire à publier. Il était le nœud de pureté de ma trentième année, l'aboutissement de dix années, non seulement de travail, mais surtout, de [?] de vie. Je me heurtais à de l'inconscience, à de la légèreté, de la part des gens qui ne supposent pas même ce que peut-être un travail d'écrivain critique. Je suis un timide. Déranger les gens à propos de mes affaires me semble toujours vaniteux. Je ne vous ai téléphoné alors, afin de vous rencontrer, que sur le conseil d'un ami; sans trop croire que vous consentiriez à me voir. Nous avons bavardé et, vous quittant, j'étais "remis en selle". C'est grâce - et uniquement - à cette confiance que vous m'aviez redonnée, que j'ai écrit No man's land, je le reconnais bien volontiers - et vous l'ignoriez. Depuis, je dois dire qu'en écrivant je pense à vous très souvent. (j'ai l'air de vous charger là d'une bien accablante de responsabilité, ce n'est pas ainsi que je l'entends. Le rôle, presque déterminant que vous jouez maintenant en moi, est d'ordre subjectif, mais pour moi d'une très réelle importance.) Tout ce qui précise, pour que vous sentiez combien est capitale votre lettre de l'autre jour (il est bon, je crois, de m'exprimer avec franchise, car on ne soupçonne jamais tout à fait les conséquences qu'on représente pour certains êtres). Je voulais reprendre les termes mêmes de votre lettre. Rassurez-vous, je ne vais pas aider en faveur d'Ouroboros; simplement tenter, car je vous le dois, ne fût-ce que par gratitude, une mise au point qui concerne non seulement ce texte, mais ceux qui viendront - s'il doit en venir... Finalement, Je voudrais me faire mieux connaître de vous, Cela m'importe puisque que je suis loin, que je ne bouge pas et que nous n'avons pas l'occasion de parler ensemble. Je ne me fais aucune illusion. Ouroboros est illisible sur une durée de 30 à 50 pages. A la vérité, il n'est lisible, c'est à dire recevable que par bouffées, par bouffées émotionnelles. Il a été écrit ainsi (j'en ai à présent 90 pages - travail qui s'étale sur plus d'une année. Vous voyez donc la lenteur, qui provient du fait que je ne l'écris pas dans des moments "d'extase",  "d'inspiration" (mot qui fait rigoler) il ne s'agit pourtant pas "d'écriture automatique"; car j'abomine un non-rationnel absolu. Je serais porté, plutôt, à employer le mot : "magie". Je compare ce travail à ce que doit être l'écriture d'une symphonie pour un musicien. Premier temps pour le musicien ! Le choc émotionnel incontrôlable, temps au cours duquel s'impose à l'artiste la ligne mélodique, sans doute envahissante, presque oppressante, dont il va avoir à se débarrasser. Second temps : l'écriture, c'est-à-dire la technique. Le "choc" va donc être, à ce niveau, normalisé, discipliné. Pour mon texte, il en va de même. Car d'abord, le cri, le cri d'amour, L'admiration, d'émotions, de tendresse, d'exaltation seront une beauté frappante. Ensuite : l'ordonnancement de ce cri en termes, un langage qui ne corrompt pas son essence, sa nature de cris; sa quintessence, devrais-je dire (qu'est-ce qui nous envoûte, nous, blancs paralysés pas l'excès d'intellectualisme, par notre éloignement naturel, - dans la musique noire ? C'est la magie originelle de l'expression par le cri brut qui nous fascine - et aussi nous laisse en quelque endroit de nous réticents). La communication avec l'extérieur (lecteur, auditeur, spectateur) ne s'effectue qu'à un second degré - qui est le "degré psychique" : on a longtemps et beaucoup ri de la musique noire, on a longtemps et beaucoup ri de la peinture abstraite. Il faut aux êtres du temps pour que l'œuvre et non sans musique pénètre au-delà de la raison jusqu'à leurs fibres profondes, dont ils n'ont pas l'inconscience. Ce qui gâte le "lettrisme", dont vous me parlez, c'est qu'il est une "recherche" à partir d'une objectivation littéraire, Intellectuelle. Ce qui gâte (seulement par endroits) Artaud, c'est la sous-jacence de la démence. Ce qui gâte (tout au long) Joyce (je parle ici de Finnegans Wake) c'est un dépassement concerté du langage ordinaire, mais avec l'absence du flux d'inspiration qui caractérisait certains passages d'Ulysse. Dans les trois cas, ce qui manque, c'est l'authenticité totale de l'exigence intérieure chez l'artiste - l'exigence chez Artaud étant, parfois, d'une nature pathologique, donc plus d'essence esthétique. Je m'explique sans doute bien confusément. Je veux dire ceci: quand on voit quelque chose de beau, le cri part. Ce n'est qu'après que, quelquefois, on cherche à analyser ou, du moins, à objectiver. Dans Ouroboros, le processus est celui-là même. Poursuivant selon vos vues, vous me parlez de "réforme du langage". Bon point. Vous avez mille et mille fois raison ! Le poète ne transforme pas le langage. Et à quoi cela servirait-t-il ? Pour l'homme courant, le langage est bien suffisamment explicite. Pour le poète, chacun trouve et trouvera sa langue propre. Je vous approuve et suis heureux que vous pensiez ainsi. Utile ? Demandez-vous ? Je réponds catégoriquement : oui. Et je vais vous dire pourquoi, à mon sens.  (qu'il soit d'abord bien entendu que je n'envisage pas de faire des adeptes !! Je suis moi - et cela me suffit.) Mais voici : tout esprit est borné, conditionné par ce qu'il connaît, supposé connaître ou croît déceler. Cela est [?] pour tout un chacun. Moi, je n'ai en vue que l'écrivain. Or, il n'est pas niable que tous les écrivains procèdent, plus au moins, conscient ou inconscient, les uns des autres. Pour que vive la littérature, pour que vive l'art, d'une manière générale, il a besoin qu'on lui fasse de temps à autre ce que j'appelle des "césariennes". C'est à partir d'une certaine barrière franchie, sous une certaine forme, par certains hommes, que d'autres, en choisissant des voies toutes différentes, en franchissent de nouvelles. (pour vous donner un exemple de ce que je veux dire : personnellement, je crois que ce n'est pas tant Ionesco et son œuvre qui sont importantes dans le théâtre d'aujourd'hui, que ce que l'ouverture proposée par Ionesco représente pour le [?]. On ne rétrograde pas sur les acquis, voyez-vous. Ionesco ne supprime pas Racine, mais nous force à choisir entre Racine et lui - J'entends : dans la substance de l'oeuvre. - et j'ajoute que je n'aime pas Ionesco pour s'être commercialisé, car, authentique, l'expérience ne pouvait pas se prolonger au-delà d'une ou deux pièces. Après, c'est un "truc" dont se sert Ionesco, servi par la puérilité et la vanité d'un public qui veut se montrer apte à tout comprendre, même là où il n'y a rien à comprendre. Il en irait de même si j'écrivais, porté à la réfutation par à snobisme orchestré, cinq ou six volumes dans la langue d'Ouroboros ! Notre temps est, à la fois, un temps d'élaboration créative et un temps de corruption de la création.) Naturellement, j'aurais encore des dizaines de choses à vous dire, mais ma lettre est déjà assez longue - et quand je pense que je vous l'impose ! ... Je veux, toutefois, vous remercier encore - niveau de mon travail - pour votre présence à côté de moi. En ce qui concerne la publication en revue de ce texte, je vous laisse libre de tailler à votre aise, ne sachant pas quelle place vous comptez lui consacrer. Si je puis vous suggérer ceci : nous pourrions publier de la page 1 (début) à la fin du paragraphe : JE MINFULSSE DE TA BEALISSURE!, ce qui fait, environ trois pages et demie. Enfin - cela à votre convenance. Il y a déjà un courage littéraire à me publier - croyez que j'en suis conscient. Ma dernière objection (ma première, en fait) êtes-vous obligé de "chapeauter" le tout du titre "Recherches" ? - si oui, c'est entendu. Voilà une belle lettre d'emmerdeur! Et j'ai même Satori à vous soumettre ! (quelle galère !...) Soyez remercié, mon cher Maurice Nadeau. Calaferte".

LAS du 19 décembre 1964 : "Cher Monsieur Nadeau, J'ai reçu une lettre excessivement courtoise et engageante de Christian Bourgois, à laquelle je viens de répondre. Il me dit qu'il souhaite beaucoup continuer de me publier. Je ne demande pas mieux, mais je lui ai répondu que vous aviez été le seul à vous intéresser à mon travail pendant les années dernières et que, si les Lettres Nouvelles continuent et si vous le voulez, j'aimerais publier sous votre direction. Ne connaissant rien de plus des "révolution de palais" qui ont l'air de se succéder au sein de la maison, je ne saurais prendre d'autres engagements. Toutefois, relisant, en les classant, l'une de vos lettres, vous me disiez que Gombrowicz ne voulait signer qu'aux Lettres Nouvelles. Si les Lettres Nouvelles c'est vous, je suis, moi aussi, bien d'accord pour en faire autant. Mais je ne sais rien de ce qui se passe au juste. Quoi qu'il en soit, il n'est pas question que quelqu'un puisse lire avant vous mon travail. Je pense à Satori qui est prêt. Si vous avez un peu de temps, soyez gentils, de m'informer un peu de cet imbroglio. Je voulais vous tenir au courant, ce que j'estime être la moindre des courtoisies à votre égard. Très amicalement. Calaferte".

LAS du 26 décembre 1964 : "Cher Monsieur Nadeau, Je vous réponds rapidement, comme vous me le demandez. On m'a de nouveau écrit de chez Julliard - Christian Bourgois - qui très gentiment (ça me change !) me demande de lire mon manuscrit (Satori) après que vous l'ayez lu, car je lui avais dit que je tenais à vous soumettre d'abord ce que j'écris. Donc... Pour Ouroboros, je n'ai qu'à vous remercier de contribuer à cette audace - car il y a une sorte de courage littéraire à le publier. Pour le choix que vous ferez - c'est tout à fait convenu. Et si vous pensez que certains termes de ma lettre peuvent servir d'introduction, je veux bien - encore que je vais écrire avec spontanéité et que rien ne soit élaboré dans ce que je vous dis. Je ne vous cache pas que je suis heureux de cette publication revue et que j'attends avec impatience, car je verrai aussi ce que cela donne comme résonances une fois imprimé. De ce point de vue, c'est un service que vous me rendez. Mon amitié. Calaferte. En ce qui concerne les tribulations de la maison Julliard, pour ma part, si vous voulez de moi aux Lettres Nouvelles, j'en serais très content, un point c'est tout".

LAS du 14 janvier 1965 : "Cher Monsieur Nadeau, Merci de me demander mon manuscrit. Je n'osais pas trop vous importuner encore. Je vous le fais expédier aujourd'hui même. Je l'ai relu. C'est une tentative de portrait psychique et je crois que mon écriture s'est resserrée. Vous serez jugé. C'est sorti du plus essentiel en moi. Ça se sent je crois. Merci encore à vous. Amicalement. Calaferte. P.S. Je n'ai qu'un exemplaire [?]. Christian Bourgois m'a demandé de lire le manuscrit (?) Si vous le jugez utile, vous pouvez le lui passer ensuite. Vous décidez en tout.

LS du 27 février 1965 : "Cher Monsieur Nadeau, Je vous écris à la machine et m'en excuse, mais l'intention m'est venue de m'expliquer assez longuement et, si vous avez le courage de me lire, je ne veux pas vous imposer mon impossible écriture. En effet, je pense, puisque je ne suis pas à Paris, que je vous parle plus en détail. Je n'ai pas répondu aussi explicitement à votre lettre que, peut-être, il aurait fallu, car mon premier souci est de ne pas importuner les gens, surtout ceux qui, comme vous, me montrent de l'attention et de la sympathie. Aujourd'hui, je m'y vois presque contraint. Qu'ils soient d'abord bien entendu entre nous (malgré que vous me connaissiez mal), que la publication d'un de mes livres n'est pour moi en aucun cas une affaire de vanité ou une perspective de réussite. En publiant, (ultime vanité, j'en conviens) je ne cherche rien qu'à laisser trace de mes travaux, un point c'est tout. J'ai une telle optique de mon art et je suis parvenu, au long des années de réflexions, et d'un certain ordre de vie personnelle, à une position intellectuelle particulière et située à une certaine altitude. Cela est très important à savoir et à  comprendre. Je vis une aventure d'artiste dont je n'attends rien que l'accomplissement de moi-même un certain niveau de profondeur. Donc, la publication ou la non publication d'un de mes livres n'est aucunement pour prendre rang et rien d'autre que l'échéance logique, une sorte d'accomplissement matériel terminal à mon travail d'écrivain. (Ma vie à l'écart n'est pas un accident fortuit, ma solitude, mon silence, ma distance, etc. Sans quoi, je ne suis pas plus bête qu'un autre et je me serais répandu dans les gazettes.) Or, voici que je reçois la lettre d'une stupéfiante innocence de Monsieur Christian Bourgois. 1°) - Ce monsieur a tout l'air de penser qu'on écrit un livre pour se distinguer ou pour être exposé dans les kiosques de gares. 2°) - Je ne suis pas juge de mon œuvre - et lui non plus. 3°) - À moi, qui passe des années sur un livre et ai sacrifié beaucoup des agréments de la vie à cette vocation, il me conseille de travailler!!! (que ne le conseille-t-il à ses jeunes juments qui fientent et dénaturent la littérature qui est chose sacrée !) Travailler ! Moi, pour qui pas un mot n'est cent fois pesé avant d'être laissé dans un texte ! Après quoi, mon livre est, paraît-il, chargé de scories. A-t-on souvent l'occasion, chez Julliard, de récolter des scories de cette nature ? Oui ou non ?4°) - Depuis tantôt douze années je vis mon art comme un religieux vit sa croyance : et M. Bourgois ne semble pas très bien discerner la source profonde qui l'anime. (Sans doute est-il encore un peu jeune...) 5°) - Il va de soi que je ne consens pas discutailler avec un bureaucrate de problèmes qui, pour moi, sont essentiels, et ne peuvent, en tout état de cause, être compris et examinés que par des hommes qui ont des choses en commun, - c'est pourquoi je vous écris. Je ne suis ni feu ni léger. Quand j'ai fait quelque chose, je sais ce que j'ai fait. Pardonnez-moi donc de vous parler très franchement, en ami, puisque vous avez bien voulu, à plusieurs reprises, me donner vous-même ce titre et que vous savez quelle considération j'ai pour vous et pour votre jugement littéraire. Car, j'admets fort bien que j'ai pu me tromper ici ou là. Je connais mes défauts, mes emportements, mes excès, etc... Quand vous me disiez, dans votre lettre, qu'il y avait dans Satori des passages à supprimer, je n'ai pas du tout protesté, certain qu'ensemble nous pourrions nous entendre sur des bases objectives et non sur des mots dictés à une dactylo de service. Je suis toujours humble devant la compétence et la respecte. Je n'ai pas fini d'apprendre les arcanes de ce métier et me délecte de cet apprentissage, car, dans la vie, une chose m'intéresse : l'art d'écrire. Rien d'autre. Mais je crois que dans cette maison Julliard (dont il ne reste que le nom, hélas!) Il serait bon qu'on comprenne une fois pour toutes (si toutefois ils en sont capables) le sens de mon travail. La question de la recevabilité de mes textes se pose non seulement pour ce livre aussi mais pour la suite. J'ai l'impression qu'il se borne à l'optique de l'éditeur, sont considérés celle de l'écrivain que je suis. C'est grave. Ayant appris à quelque peu vous connaître au travers du ton de vos lettres, je pense que vous partagez cette inquiétude. Je suis tel que je suis et mon œuvre en est le reflet. Ou je n'ai aucun talent - et il ne faut pas craindre de me le dire. Ou j'ai du talent et il est celui de ma nature. Par tempérament, je suis un lyrique. J'en ai les qualités et les défauts. Mon art est un art de lyrique et - en dépit de la tendance de l'époque (l'actuel est provisoire) J'estime qui il y a une autre littérature que celle des méninges. Un autre art - plus vaste, plein de sang, de chaleur, de chair, de violences, d'âme, de souffle. En un mot : de "magie". L’art est une magie - ou ce n’est pas de l’art. Et, actuellement, ce n'est pas de l'art : c'est de la branlette pour pédés mondains. Cela dit, cher Monsieur Nadeau, il y a eu aussi, je crois, une petite confusion entre nous. J'ai été honoré, heureux, d'être publié dans votre collection. J'ai pensé que Satori pouvait faire bonne figure au milieu des auteurs de qualité que vous défendez. Car, s'il ne s'agit pas des Lettres Nouvelles, je ne tiens pas du tout être publié chez Julliard, qui détient actuellement, sans conteste, le record de la cochonnerie dans le domaine de l'édition française. Tout le monde est d'accord là-dessus, à commencer par le public. Maintenant, puis-je vous demander un service. Un grand service. Je pense que vous ,n'avez pas trop de temps à perdre en palabres. Donc, je vous propose ce qui suit et qui arrangerait les choses rapidement : auriez-vous la grande gentillesse de rayer d'un trait de crayon dans mon manuscrit tous les passages qui vous semblent à supprimer - ainsi, je pourrais juger lorsque vous me le retourneriez. Vous me rendriez là un énorme service, et si je n'adhère pas à toutes vos objections, je vous le dirai et nous pourrons alors examiner le pour et le contre. Si vous étiez d'accord pour ce mode, j'en serais très heureux et vous devrait beaucoup de reconnaissance. (Le manuscrit devant quatre présentement chez M. Bourgois) Veuillez excuser cette longue lettre et son ton peut être vif, mais il reflète mon sentiment, et votre attention pour moi, presque affectueuse, me paraît autoriser mon naturel d'aujourd'hui. Il n'est pas utile, je crois, d'ajouter que j'attends avec impatience votre réponse. On leur apporterait la Bible, ils trouveraient ça trop exubérant ! Triste humanité ! Toute mon amitié vraie, cher Monsieur Nadeau. Calaferte. Si vous voulez passer un bon moment, je peux vous envoyer un double de la lettre de M. Bourgois !".

LAS du 17 août 1965 : "Cher Monsieur Nadeau, Je voulais plus tôt vous écrire, mais une dépression intérieure, 1, passage d'anéantissement m'a laissé toutes ces semaines dernières dans l'écœurement de tout et, d'abord, de moi-même. Je m'enivre de silence et de solitude, jusqu'à ne plus même ouvrir la bouche et cela tourne à la maladie. J'émerge pour un instant. Pour vous remercier de la publication d'Ouroboros dans la revue. Je pense que si quelqu'un vous connaissant vous en a parlé, cela a dû s'accompagner de ricanements. Moi, je suis très content - et je regrette seulement le ton idiot de ma lettre qui suivait... À présent, Ouroboros c'est presque achevé. Il s'en faut de quelques semaines peut-être, mais je n'ai de goût à rien, sinon au mépris, au dédain, au rétrécissement, à l'extrême resserrement de moi, etc, etc. Où en est, dans votre esprit et dans celui de l'édition Julliard, "l'affaire" Satori ? Je n'ai pas répondu à M. Bourgois. Je ne lui répondrai pas. Vous me dites lui avoir parlé ? J'ai relu le manuscrit à froid. Je vais vous paraître vaniteux (ce que je ne suis pas) je crois, je suis sûr que c'est un livre unique 1°) pour son contenu, 2°) pour sa forme 3°) pour sa stature même 4°) pour sa parfaite authenticité. C'est, en tout cas, le premier livre de moi qui est totalement exempt de tricherie intellectuelle et littéraire. J'entends par tricherie intellectuelle et littéraire - un souci d'art. De grands morceaux sont à enlever : Le Ciel et Le Prophète. Ils dérivent du ton original parce qu'ils ont été écrits 10 jours après le reste. Mais, je pense que, si le livre est bon 10 pages de plus ou de moins ne changent rien. Pas plus que si le livre est mauvais. Enfin, je suis entre les mains de l'édition et je ne suis pas le maître. Parlez moi franchement à ce propos et à propos de ce que vous envisagez de faire de ce livre dans l'avenir ? Je ne me cabrerai pas, vous le savez. Je n'accepte pas les leçons désinvoltes de certain petit jeune homme se figurant la littérature, c'est tout. Prenez le temps de m'écrire, je vous en prie, cela m'est un petit encouragement tout de même - et je n'en ai pas du reste !... J'ai écrit récemment une pièce de théâtre dans le genre "classique", "psychologique" et tout. Bien propre à être, que je crois, représentée. Je l'ai écrite pour exposer ce que je ne saurais inclure dans un livre. Libération d'une autre tendance de moi-même. Ce que je voudrais, c'est avoir un rendez-vous avec un homme de théâtre. Est ce possible ? Moi, naturellement, je ne connais personne, figé dans mon trou. Il fait mauvais et froid. J'ai envie de soleil. Je suis triste. Triste. Triste. J'en ai franchement un peu marre. Tant que ça continue... Puisque ça continue... Bien amicalement à vous, cher Monsieur Nadeau, Calaferte. Merci encore pour Ouroboros. Il y fallait une certaine audace".

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