CHAVANCE (Louis)

A propos du Corbeau, film d'Henri-Georges Clouzot

16 août [1943]

LAS de 2 pp. in-4, rédigée à l'encre noire

Formidable et importante lettre autographe signée, envoyée pendant l'occupation à Maurice Nadeau, à propos du Corbeau, célèbre film réalisé par Henri-Georges Clouzot d'après un scénario de Louis Chavance.

Après avoir évoqué un hypothétique week-end en Bretagne, Louis Chavance communique à son correspondant la listes des différents titres provisoires envisagé pour le Corbeau : la Frontière du mal, l'Oiseau noir, Lettres anonymes, Laura, Maladie contagieuse.

Il livre ensuite ses incertitudes à propos du projet : « En l'écrivant je croyais faire un chef-d'oeuvre, puis toujours en l'écrivant une ordure. Pendant les prises de vues j'avais confiance, maintenant moins ».

Il annonce ensuite la sortie prochaine du film pour septembre [1943].

S'ensuivent des considérations alimentaires concernant le rationnement en vigueur et littéraires, Remy de Gourmont, à notre grande joie, étant porté au pinacle.

Retranscription : « 16 août [1943] Mon cher Nadeau / Nous non plus ne sommes pas en Bretagne et un peu comme vous chez, des parents, nous nous sommes installés dans l'Yonne où une soeur de Simone nous a prêtés (sic) une petite maison. Mon travail m'appelle souvent à Paris d'où je t'écris en ce moment. Pour la mère Normand il est peu probable que je lui rende visite cet été. L'Yonne est plus facile d'accès et j'y suis en une matinée ou j'en reviens dans le même temps. Et pour la Bretagne les trains sont une bagarre.

Mais il se pourrait que Simone - qui aime les gâteaux - trouve plaisir à un petit week-end à Guingamp vers le mois de septembre. Par la même occasion j'emprunterais un vélo qui m'emmènerait à Belle Isles [Belle-Isles-en-Terre] et j'irais dire bonjour à la mère Normand et à la ravissante édentée Odette. Au fond la Bretagne n'est pratiquable (sic) qu'en septembre pour les gens qui ont d'autres gouts que le [?] debout sur boggie et derrière locomotive.

Le film sur les lettres anonymes après différents titres tels que la Frontière du mal, l'Oiseau noir, Lettres anonymes, Laura, Maladie contagieuse, de nouveau l'Oiseau noir s'arrête sur Le Corbeau. Jamais plus jamais plus. Il devait y avoir des nuages de corbeaux et des trombes de croassements mais on n'y voit pas un volatile. Pourtant l'auteur des lettres anonymes signe le corbeau. En l'écrivant je croyais faire un chef-d'oeuvre, puis toujours en l'écrivant une ordure. Pendant les prises de vues j'avais confiance, maintenant moins. Il se pourrait pourtant que ce soit intéressant. Jeanson qui l'a vu déclare que c'est trop dur et que pour se changer les idées il est allé voir Lumière d'été en sortant de la projection.

La sortie est pour fin septembre.

On repartira bientôt vers la campagne. Mon adresse Saint Privé Yonne. Le ravitaillement est correct : juste pour les matières grasses, faible pour la viande abondant en fruits légumes laitages. Plus agréable en somme que Paris. J'y ai lu Jean Christophe [de Romain Rolland] qui m'indiffère Remy de Gourmont qui m'intéresse beaucoup, beaucoup.

Comme mon ami Pierre Prévert vient me rendre visite, son arrivée interrompt le fil de mes confidences littéraires. Néanmoins je vous envoie les meilleurs souvenirs d'un cinéaste fatigué, je voudrais bien connaître l'héritier et je te demande de transmettre à ta charmante femme et à ton jeune héritier (bon système pour remplir la fin de la page). Je vous embrasse tous les deux. Louis Chavance ».