HUYSMANS (Joris-Karl)

42 lettres autographes signées à un ami [Henri Girard]

Paris et Ligugé, 1889-1903

In-8 (21,9 x 15,8 cm), plein maroquin framboise janséniste, dos à cinq nerfs, auteur et titre dorés, toutes tranches dorées, filet doré sur les coupes, doublure de moire lie-de-vin sous double encadrement de maroquin framboise et bordeaux serti d'un filet doré, garde de moire lie-de-vin (reliure signée Devauchelle), 2 ff. blancs, titre calligraphiée en rouge et noir, 2 ff. (notice imprimée encollée), documents montés sur 44 feuillets (sur onglet ou encartés permettant de lire recto et verso), 1 f. blanc

Correspondance composée de 42 lettres ou cartes autographes signées adressées par J-K. Huysmans à un ami intime, Henri Girard, de Paris ou Ligugé, de 1889 à 1903, représentant au total environ 130 pages in-8, in-12 et in-16 (nom et adresse du destinataire soigneusement effacés aux versos des cartes-lettres).

Henri Girard, piètre acteur, qui jouait de petits rôles dans de petits théâtres, fut pris en affection par Huysmans en 1886 et, entre ses tournées, devint un habitué des dîners du dimanche soir de la rue de Sèvres. Il rendit visite à Huysmans à Ligugé, et finit par abandonner le théâtre pour acheter une librairie rue Saint-Sulpice. Lors de ses tournées théâtrales, Huysmans le conseille dans ses visites : à Troyes, où il y a « des églises curieuses », à Valenciennes et Besançon où il verra « quelques tableaux de primitifs allemands dans les musées », à Berlin dont il vante l’admirable musée avec des Botticelli et un Cranach, ou encore en Grèce : « Tout le monde a déféqué la Grèce et ses rastas qui vous possèdent. Je ne suis nullement surpris de ce que vous me dites de la dégoutation méridionale de ces lieux. Il s’y joint d’insipides souvenirs classiques, et le fantôme immonde, dans le moderne, du Moréas »…

La correspondance s’échelonne entre 1889 et 1903 ; espacée et écrite de Paris d’abord, elle s’étoffe ensuite à partir de l’installation de Huysmans à Ligugé en 1899.

Huysmans y aborde, sur un ton très familier et sans aucune retenue, les sujets les plus divers, évoquant son entourage, ses séjours à la Trappe, ses travaux littéraires, sa vie à Ligugé, les événements politiques dans le tumulte de l’Affaire Dreyfus, et la lutte des catholiques contre le gouvernement républicain et ses lois « scélérates » sur la séparation de l’Église et de l’État, sur les associations, etc.

Il cite souvent les deux commensaux de Girard, Georges Landry, fidèle de Barbey d’Aurevilly et Huysmans, et Gustave Boucher, bouquiniste sur les quais, qui suivit Huysmans dans sa conversion jusqu’à Ligugé. Il évoque aussi Lucien Descaves, François Coppée, Gustave Guiches, Léon Bloy, Charles Dulac, pour lequel il organise une exposition posthume en 1899 ; on peut également suivre ses démêlés avec son éditeur Pierre-Victor Stock. Il évoque aussi quelques figures de femmes : Anna Meunier, sa maîtresse, dont l’état ne cesse de l’inquiéter et qui mourra folle ; Julie Thibault la mystique, qui tint son ménage à Paris mais qu’il refusa de faire venir à Ligugé ; et « la Sol » (comtesse de Galoez), qui le persécute et « pond des lettres de plus en plus enflammées ».

Sont aussi très présents les ecclésiastiques qui l’ont accompagné dans ses recherches documentaires puis spirituelles : l’abbé Boullan, prêtre occultiste ; l’abbé Mugnier, qui l’oriente vers la Trappe ; l’abbé Ferret, son confesseur ; Dom Besse, père abbé de Ligugé ; l’abbé Broussolle, historien d’art ; Louis Le Cardonnel, poète religieux qu’il côtoie à Ligugé.

Nous ne pouvons en donner ici qu'un aperçu.

Huysmans encourage Girard, en tournée à Lyon (1892), à rendre visite à « l’ami Boullan », dont la mort suspecte lui causera ensuite bien des tracas : « Si l’affaire Boulan est arrangée dans la presse, elle ne l’est pas, du tout, dans la vie privée » (19 janvier 1893). C’est alors qu’il commence son cheminement vers l’oblature.

10 juillet 1893 : après 8 jours passés « chez les bons trappistes » où on l’a « traité comme un ami et la règle si dure a été desserrée autant que l’on a pu », il rêve de « pouvoir vivre ma vie d’oblat à la Trappe. J’y serais à coup sûr heureux et j’y aurais un bien extraordinaire au moins, la paix de l’âme. Mais tout cela, c’est des rêves ; il va falloir rentrer au bureau et recommencer la fétide existence de tous les jours »…

L’année suivante, il fait, à l’automne un nouveau séjour, plus dur, à la Trappe (« Le lever à 3 heures, en pleine nuit, est un supplice, mais les braves gens ! ») ; il y attend de Stock les épreuves de son livre ; il donne des nouvelles d’Anna Meunier « à peu près gâteuse », et dit sa joie d’avoir trouvé « chez le libraire Foulard la 1ère édition de la Vieille Maîtresse, 3 volumes complets arrivant d’un cabinet de lecture de Charleville, le tout pour 6 francs... Ça donne au moins dans une vie sans joie quelques minutes de plaisir ».

30 janvier 1895 : il n’en peut plus de subir au ministère son Directeur « impulsif, malade, pur aliéné, révoquant à tort et à travers, faisant appeler les gens le soir, etc. » ; il annonce la mort de la femme de Descaves en couches, et l’enfermement de la femme de Léon Bloy, sur lequel il émet un terrible jugement : « C’est une âme bien méprisable, bien noire, mais quelle vie il aura eue ! Si encore il se rendait compte que de tels cataclysmes pourraient bien être la terrible punition de ses méfaits – mais non, il est trop orgueilleux pour cela ! Satanisé par ce vice, jusque dans les moelles »… Il ne peut guère compter sur ses droits d’auteur : les affaires de Stock vont de mal en pis, et « l’infortune me le révèle menteur comme un arracheur de dents et foncièrement malhonnête. La mauvaise foi devait évidemment venir avec la débine. C’est fait »… Parmi ses amis, Boucher se retrouve sans travail, Landry « clopine » ; « il n’y a de valides que les 2 abbés. Le bon Ferret, plus actif que jamais […] Mugnier, plus gai et en verve que jadis encore. […] La maman Thybaut […] déraille toujours doucement sur la mystique, mais fabrique des céleris au lard opulents ».

Avril 1896 : il se débarrasse de son lit mais garde les matelas « que je referai faire à la largeur du lit monastique ».

17 décembre 1896 : il donne des nouvelles des deux abbés, Mugnier et Ferret, dont la toux l’inquiète, et se réfugie dans le travail : « Je suis toujours plongé dans mon bouquin, noyé dans ma Cathédrale. […] L’édition nouvelle d’En Route a paru ».

Ligugé 22 août 1898 : « L’oblature, ici, permet d’être libre, de voir et de recevoir ses amis, d’être tout à fait en dehors du monastère et nullement, au point de vue intellectuel, sous sa coupe » ; il va faire construire une petite maison à Ligugé : « Moi, proprio ! est-ce assez cocasse ! » ; sa retraite et le produit de ses livres lui permettront de subsister là-bas.

25 août : il espère que la toiture sera terminée pour l’hiver et il attend les Leclaire qui veulent aussi acheter un terrain ; « c’est une fête perpétuelle. Les moines, le clergé de Poitiers, tout le monde m’invite », mais il ne veut pas emmener la mère Thibault, « cette sorcière qui me vaudrait dans un village, de gros ennuis ».

Paris 18 octobre : sa maison se construit, et Le Quartier Saint-Séverin « est sous presse. Une édition illustrée par Lepère à 5 f le volume, se fera, d’autre part, pour l’Exposition de 1900 » ; il a toujours des problèmes avec la Sol : « elle arrive comme une bombe chez moi [….] c’est une crise de sanglots et de larmes à faire pitié […] est-elle folle ? » ; mais une autre femme entre en scène : « une blonde, cette fois, demeurant à Vaugirard ! –. La vie ! la vie ! est-ce assez bête ! Rien quand on aurait voulu, tout quand on ne veut plus ! Mais la blonde, je l’ai plaquée, du premier coup, une peintresse ! »…

En 1899, il s’installe à Ligugé, où il vit dans la compagnie des moines et de ses bons amis Leclaire.

13 juillet : il attend ses bibliothèques et tâche de préserver son indépendance, « suivant point par point la ligne de conduite tracée par l’abbesse de Solesmes et très approuvée par le P. Besse de sorte que j’ai toutes les joies du cloître sans être mêlé à tous les bas potins. […] Il y a eu, avant-hier, cérémonie magnifique à propos de la translation des restes de St Benoit » ; ils sont envahis de photographes « qui braquent leurs appareils sur la maison ».

18 septembre : malgré les ennuis domestiques, « la vie est celle que vous connaissez ici : offices, ballade et lectures chez soi » ; il va faire « la vendange avec les moines, dans leurs vignes ».

18 octobre : il rentre d’un voyage en Vendée militaire avec le Père Besse et il attend des épreuves que Stock ne lui envoie pas.

1er janvier 1900 : « Je ne crois pas qu’une année se soit encore annoncée aussi trouble et barrée par des horizons plus noirs. Ce gouvernement de chenapans n’est pas sans nous inquiéter sérieusement, ici, avec ses lois sur les congrégations qu’il prépare » ; il raconte la dernière « exquisité » d’Arthur Meyer qui exige une lettre du curé de Sainte-Clotilde « pour lui affirmer l’orthodoxie des Pages Catholiques et de la préface (!!) » ; ce volume paraîtra aussi chez Oudin, « un des grands éditeurs catholiques. C’est la seule façon de le faire pénétrer, si possible, dans ce monde-là que le nom de Stock, trop mêlé aux affaires de Rennes, effraie ».

7 février : « Le Cardonnel va entrer ici, sous mes auspices, comme novice au cloître » ; il assiste en mars à la cérémonie de prise d’habit d’oblat de Huysmans.

14 mai : les troubles parviennent jusqu’à Ligugé : « La franc-maçonnerie compliquée de Dreyfusardisme a subitement éclaté […] Des ouvriers d’usine et des femmes en cheveux, en procession de 8 heures du matin à 8 heures du soir, […] portant un mannequin de curé, hurlant la Carmagnole, gueulant mort aux moines, coupons les curés en 4, à bas les bourgeois, vive la Commune ! »… Il travaille et doit chercher des débouchés car « Stock est à est à peu près en ruines » ; il a conclu « une affaire avec la Société d’éditions artistiques du Palais de Hanovre pour le recueil d’un partie de mes articles de l’Écho ».

12 juillet : il a eu la visite du « fol abbé » (Mugnier) et peste contre un manuscrit égaré que cherche Stock (« c’est un tas de youpins parbleu ! ») ; cérémonie magnifique pour la translation des reliques de Saint Benoît, et dîner de gala avec les novices des Dominicains : « Eux tout blancs, les Bénédictins tout noirs, un vrai piano ». Girard vient le voir en août et les jours passent avec les Leclaire ; « le cloître continue sa marche placide » et les « exhibitions liturgiques » le rendent heureux. L’arrivée en octobre d’une pensionnaire, une jolie jeune femme, nièce des Leclaire, dont le mari est parti à Haïti, ne lui déplait pas, mais il est heureux de retrouver sa solitude.

25 octobre : il attend la visite du père Broussolle ; la lutte se poursuit entre le curé et le cloître, les tiraillements avec le Père Mayol continuent : « Est-ce drôle d’être un très pieux moine et un brave homme comme le P. Mayol et d’être ainsi doublé d’un emmerdeur à la 20e puissance. […] Je fais Lydwine [Sainte Lydwine de Schiedam] comme un pensum qui commence, Dieu merci, à toucher à sa fin. Impossible de trouver un tremplin d’art. C’est de la cendre pénible et de la filasse d’anecdotes plus ou moins intéressantes ».

4 novembre : Le Cardonnel a pris « la coule des novices […] très belle cérémonie, lavement et baisement de ses pieds par tout le cloître. […] Nous attendons toujours les événements, avec cette loi scélérate des associations » ; si les moines s’en vont, comme il le craint, il partira aussi : « car vivre à Ligugé, sans offices, sans amis, ça non !! – je me fous de la campagne, dans laquelle je ne mets même pas les pieds – s’il n’y a pas autre chose, zut », à moins qu’il ne reste avec le père Besse et Le Cardonnel ; il termine Lydwine « qui m’a donné tant de mal pour pondre un livre de Monsieur tout le monde – mais il faut que je le reprenne encore, que je le recopie, etc. Il y en a pour quelques mois ».

9 novembre : l’abbé Broussolle est venu surveiller l’impression de son livre sur le Pérugin ; les offices de la Toussaint ont été magnifiques.

29 décembre : Noël a été le cadre d’un « miracle » : Forain, perdu de vue depuis 20 ans, est venu passer Noël avec lui, et a communié « après s’être fait récurer par le P. Besse. […] Le Cardonnel, ahuri de retrouver un tel Forain, en bâillait, et le voilà, avec le P. Besse, rêvant de tous tes artistes convertis !! – eh là ! quels gourmands ! »…

20 janvier 1901 : il va lui faire envoyer « un volume de la Bièvre et Saint-Séverin » et regrette qu’on ait fait sauter sa dédicace à Girard ; les événements ne manquent pas de l’inquiéter : il espère le « non-votage » de la loi, mais n’y croit guère : « Au fond, ce que cette affaire Dreyfus aura été sursaturée de diabolisme ! il est juste d’ajouter que la lâcheté, l’imbécillité des catholiques méritent vraiment une leçon. Mais ils ne la comprendront même pas ».

24 avril : il a des soucis domestiques et doit faire le tampon entre le P. Besse et Le Cardonnel, qui sont au bord de la brouille ; Ligugé lui semble moins plaisant et il regrette l’ancienne génération des moines : « je crois bien que j’aurai vu les derniers moines bénédictins, vraiment dignes de ce nom ; le reste, c’est de l’épicerie de piété ».

19 juillet : il invite Girard à venir pour la dernière fois à Ligugé car les moines vont partir en octobre.

19 octobre : le chapitre souhaite qu’il reste, et Huysmans accepterait « un hiver solitaire, sans rien, par acquit de conscience, pour Saint Benoît. Seulement, l’expérience faite, je reprendrai ma liberté et filerai ». Il quittera finalement Ligugé quelques jours plus tard pour revenir à Paris.

Paris, 19 août 1902 : il vient d’emménager 60 rue de Babylone, et « le logement mieux arrangé même qu’à Ligugé est exquis ».

18 juillet 1903 : il ne peut aller voir Girard en Dordogne, car il doit aller à Lourdes, puis faire un voyage à Colmar et Anvers ; « J’ai constaté sans surprise dans l’astucieuse et imbécile presse catholique que j’étais, avec Là-Bas, l’auteur des intéressantes farces du génie d’Adelswart » [Jacques d’Adelswärd-Fersen fut arrêté en juillet 1903 à la suite d’un scandale homosexuel, et la presse fit un amalgame avec le roman de Huysmans].

En tête du recueil sont montées :

- une carte signée illustrée au recto de photographies de l’écrivain en médaillon avec Porto-Riche et Albert Guillaume et

- 2 photographies du château de Lourps (En Rade) annotées au dos.

6 800 €