L’AVIS DU LIBRAIRE

 

Subtile reliure onirique pour ce roman que Julien Gracq qualifiait de "rêve éveillé"

GRACQ (Julien)

Le Rivage des Syrtes

Paris, José Corti, 1951

In-12 (18,6 x 12 cm), plein veau naturel, estampé d’une plaque originale au carborundum figurant une côte rocheuse, teinté d’un camaïeu de jaune, rehaussé au film jaune et à l’or, dos lisse avec auteur et titre dorés, toutes tranches dorées sur témoins, contreplats bord à bord du même cuir, gardes de chèvre velours jaune, couverture et dos conservés, étui-chemise assorti (reliure signée de Louise Bescond, 2023, titrage de Claude Ribal, dorure de Jean-Luc Bongrain), 353 pp., 1 f. n. ch.

Édition originale.

Un des 40 premiers ex. imprimés sur vergé de Rives (premier papier avant 60 ex. sur vélin pur fil Lafuma), le n° 6.

Splendide reliure de création de Louise Bescond, réalisée en 2023, comportant une doublure bord à bord sur laquelle le décor se prolonge.

Décor filant, sur les plats, le dos et les contreplats, comportant dans sa partie inférieure, des rehauts d'or figurant la mer et dans sa partie centrale une estampe au carborundum avec rehauts orangés figurant une côte rocheuse.

Solaire décor "ouaté" conviant l'inquiétude et la torpeur de l'attente avant un changement imminent.

"Ce que j’ai cherché à faire, entre autres choses, dans Le Rivage des Syrtes, plutôt qu’à raconter une histoire intemporelle, c’est à libérer par distillation un élément volatil "l’esprit-de-l’Histoire", au sens où on parle d’esprit-devin, et à le raffiner suffisamment pour qu’il pût s’enflammer au contact de l’imagination. Il y a dans l’Histoire un sortilège embusqué, un élément qui, quoique mêlé à une masse considérable d’excipient inerte, a la vertu de griser. Il n’est pas question, bien sûr, de l’isoler de son support. Mais les tableaux et les récits du passé en recèlent une teneur extrêmement inégale, et, tout comme on concentre certains minerais, il n’est pas interdit à la fiction de parvenir à l’augmenter.

Quand l’Histoire bande ses ressorts, comme elle fit, pratiquement sans un moment de répit, de 1929 à 1939, elle dispose sur l’ouïe intérieure de la même agressivité monitrice qu’a sur l’oreille, au bord de la mer, la marée montante dont je distingue si bien la nuit à Sion, du fond de mon lit, et en l’absence de toute notion d’heure, la rumeur spécifique d’alarme, pareille au léger bourdonnement de la fièvre qui s’installe. L’anglais dit qu’elle est alors on the move. C’est cette remise en route de l’Histoire, aussi imperceptible, aussi saisissante dans ses commencements que le premier tressaillement d’une coque qui glisse à la mer, qui m’occupait l’esprit quand j’ai projeté le livre. J’aurais voulu qu’il ait la majesté paresseuse du premier grondement lointain de l’orage, qui n’a aucun besoin de hausser le ton pour s’imposer, préparé qu’il est par une longue torpeur imperçue." (Julien Gracq, En lisant en écrivant, p. 216)

Ouvrage le plus célèbre de Julien Gracq pour lequel il refusa le prix Goncourt.

30 000 €