BERNANOS (Georges)

[La France devant le monde de demain, 1946]

[1946]

In-4 (25,8 x 23 cm), cartonnage en toile chagrinée noire à la Bradel, auteur et titre doré, date en pied, "Manuscrit" poussé à l'or dans le coin inférieur du premier plat (reliure attribuable à Patrice Goy & Carine Vilaine), chaque bifeuillet (ou feuillet pour le dernier) du manuscrit est monté sur papier fort noir et protégé par une serpente, soit au total 32 pp. sur des feuillets lignés provenant d’un cahier d’écolier, paginées de 1 à 5, puis de 1 à 28

Manuscrit autographe de cette conférence sur le monde de demain et les dangers du marxisme, prononcée à Bruxelles, à la tribune des Grandes Conférences Catholiques le 23 novembre 1946.

Document, rédigé à l'encre sur des bifeuillets provenant d'un cahier d'écolier, principalement au recto seul (sauf pour deux feuillets) comportant corrections et notes pour l’édition.

Dans une première ébauche, Bernanos se remémore l’accueil chaleureux reçu à Bruxelles en 1927, et loue l’attitude et la foi des chrétiens de Belgique : « Vous avez eu la foi, et cette foi en vous-mêmes a été récompensée car elle était aussi la foi dans l’Europe, dans les ressources toujours vivantes, inépuisable dans l’Europe, la foi dans l’homme de l’Europe ».

Puis il reprend son texte et insiste sur « la foi d’un peuple qui est tout entier dans le présent, d’un peuple qui a parié sur le présent, qui a parié sur sa chance présente, et forcé ainsi la fortune comme il avait forcé l’infortune ». Pour le monde de demain, il redoute « l’effrayante solidarité qui lie certaines victimes complaisantes, trop lâches pour se défendre, au bourreau qui leur ressemble d’ailleurs comme un frère. […] Il arrive que les vertus chrétiennes deviennent folles […] La résignation chrétienne est une vertu virile », mais elle est devenue « une espèce d’indifférence hébétée à ce malheur, principalement au malheur des autres ». Même chose pour l’espérance que « M. François Mauriac qui veut bien me destiner parfois, bien que rarement, quelques airs de sa cornemuse élégiaque, s’est vanté un jour de tenir par la main ».

Il reproche à « l’illustre académicien » d’offrir « chaque jour dans Figaro ses inquiétudes à tout le monde » et de briser l’espérance. Lui, ne « pousse pas les gens au désespoir, je voudrais les arracher de force à une résignation où ils se sentent au fond à l’aise, parce qu’elle les dispense de choisir ». S’il se montre dur pour Mauriac, c’est qu’il pense que « l’auteur torturé de tant de livres où le désespoir charnel suinte à chaque page, comme une eau boueuse aux murs d’un souterrain a plus de mérite à se tromper que moi-même à voir clair » ; mais il ne faut pas confondre optimisme et espérance ; « l’espérance est un risque à courir ». Il ne faut ni se résigner ni espérer dans le monde de demain, mais refuser « une civilisation manquée, qui n’est nullement une étape de l’histoire des hommes, mais une déviation, une erreur, un chemin sans issue […] La France a été trahie par ses élites, et ses élites intellectuelles l’ont encore plus trahie que les autres » et vont l’amener vers le marxisme. La France ne voit pas ce danger, et vote pour des partis médiocres qui n’annoncent pas de périls immédiats. D’où le succès du M.R.P. On a traité Bernanos de réactionnaire ; mais c’est eux qui le sont, « en réduisant le monde en servitude, fut-ce en faisant du monde un bagne économique […] Le communisme ne change pas la mécanique, il la fait tourner de force […] les intellectuels marxistes prétendent réaliser un Paradis terrestre mécanique », ce qui pour Bernanos est inconcevable ; en Russie « le Progrès selon Marx a déjà dévoré plus d’hommes que le progrès selon Bentham et d’ailleurs les deux monstres ne font qu’un ».

À propos du marxisme « tout le monde sait que cette expérience unique et décisive s’inspire d’une certaine conception de l’homme chrétien, puisqu’elle ne tient pas compte du péché originel […] Le marxisme nie ou néglige ce qu’il y a de divin dans l’homme ». Pour le marxiste, la justice est une fatalité économique, la pauvreté une tare sociale qu’il faut éliminer « comme la vérole ou la prostitution ».

Et il conclut : « L’Europe est ravagée par la lèpre totalitaire […] La laisserons-nous liquider l’Europe, ou aurons-nous le courage de la liquider. Laisserons-nous le soin d’organiser la Paix des hommes à un système qui faisant de l’homme une machine, ne saurait lui donner que la paix des machines… ».

Parfaitement établi dans une reliure à la Bradel attribuable à Patrice Goy et Carine Vilaine.

La France devant le monde de demain sera édité en 1953, dans le recueil La Liberté pour quoi faire ? paru chez Gallimard comprenant quatre grands discours passionnés sur les misères de notre temps, appartenant beaucoup moins à l'analyse politique qu'à l'affrontement prophétique.

5 000 €