ADELSWÄRD-FERSEN (Jacques, d')

Messes noires - Lord Lyllian

Paris, Librairie Léon Vanier, éditeur, A. Messein, successeur, 1905

In-4 (24,6 x 18,2 cm), broché, couverture illustrée, 2 ff. fins de brochage, 2 ff. n. ch. (faux-titre, titre), 206 pp., 1 f. n. ch. (achevé d'imprimer), 2 ff. fins de brochage

Édition originale.

Un des 7 exemplaires imprimés sur Hollande van Gelder (seul grand papier), le n° 1.

Couverture illustrée en vert et noir d'une grande composition de Claude Simpson figurant Lord Lyllian, fumant, alangui dans un fauteuil.

L'ouvrage s'ouvre par cette épigraphe (reprise en couverture) empruntée à Oscar Wilde : "L'amour a pour moi deux ennemis : les préjugés et ma concierge".

Exemplaire truffé de deux lettres autographes signées de l'auteur adressées à son éditeur en rapport avec son prochain ouvrage, Le Danseur aux caresses, publié en 1906 par Messein.

Broché, à grandes marges, tel que paru.

Très rare en grand papier, ainsi que les lettres autographes signées de Jacques d'Adelswärd-Fersen.

Provenance : étiquette de la librairie H. Lefèvre (Paris) encollée dans le coin supérieur au verso du premier plat de couverture.

Auteur d’une œuvre poétique et critique importante, « petit Oscar Wilde parisien » comme le définissait la presse de l’époque, Jacques d'Adelswärd-Fersen (1880-1923) est condamné, en décembre 1903, à six mois d’emprisonnement pour excitation de mineurs à la débauche.

Cinq mois plus tôt, Jacques Fersen avait été placé en garde à vue. Il organisait dans sa garçonnière, avec un comparse, Albert Hamelin de Warren, des « tableaux vivants » ou « poses plastiques » pour lesquels il conviait des collégiens parisiens, pour certains issus de la bonne société parisienne, et des prostitués homosexuels.

Durant le procès, qui fit grand bruit, Fersen, défendu par Edgar Demange, l'avocat du capitaine Dreyfus, admit : « [s]'être livré à des actes de débauche [masturbation mutuelle, fellation, exhibitionnisme], mais ils se passaient chez [lui], avec des personnes qui y étaient venues volontairement ».

La presse se déchaîna à l'encontre d'une homosexualité alors conspuée. Dans Le Canard sauvage, Charles-Louis Philippe et Alfred Jarry furent de ses rares soutiens.

En 1904, Jacques Fersen, s'exile à Capri. Il y fera construire la villa Lysis, « sanctuaire de l'amour et de la douleur » surplombant la Méditerranée.

Durant un voyage à Ceylan, entrepris quelques mois plus tard et durant lequel il est initié à la pâte brune opiacée, il commence la rédaction de Messes noires - Lord Lyllian, son premier roman, à clefs, en partie autobiographique, faisant la satyre du scandale qu'il venait de vivre et évoquant les amours interdites d'Oscar Wilde et d'Alfred Douglas qui menèrent le premier à la geôle de Reading.

Le héros, Lord Lyllian, s'abandonne à la débauche sexuelle, séduisant garçons et filles, stupre qui lui vaudra de finir assassiné par un jeune compagnon.

On y croise, un aréopage de « tapettes » (terme employé par Fersen dans sa préface) notoires ou prétendues, conviées, sous pseudonymes évocateurs, à ce virevoltant bal masqué : Supp (Friedrich Alfred Krupp), Sar Baladin (Joséphin Peladan), Montautrou (Robert de Montesquiou), Achille Patrac (Achille Essebac), Chignon (Édouard Chimot), Claude Skrimpton (Claude Simpson), Guy de Payen (Albert de Warren), Jean d'Alsace (Jean Lorrain), ...

Rachilde, « homme » de lettres dont l'audacieux Monsieur Vénus connut le scandale, soutenait que son écriture « mériterait presque un prix Goncourt ».

Jacques Fersen tire sa révérence en 1923, d'un fatal cocktail de Champagne et de cocaïne, prisée dans la « chambre chinoise », au sous-sol de la villa Lysis.

Description des lettres

1. Lettre autographe signée de 2 pp. in-8 (20,7 x 13,5 cm) rédigée à l'encre noire sur un bifeuillet à en-tête fleuronné :

"Hotel Quisisana [Capri] / Mercredi 16hr.

Monsieur Messein, monsieur Messein la prochaine fois j'vous ferai cadeau de cinq sous et d'une enveloppe. Les cartes postales sont pour moi une neurasthénie...

Donc... qu'est ce qui vous a fait croire que nous ne sommes pas d'accord ? Vous m'avez envoyé des machins sur papier timbré que j'ai signées (sic). Les deux choses que je vous demande oh mais là, sérieusement, c'est

1°/ de m'envoyer les épreuves le plus tôt possible car une fois en Égypte, ça n'ira pas tout seul.

2°/ d'imprimer chaque pièce de vers encadrée de feuillets en blanc avec le titre, comme fait Lemerre et tous les éditeurs qui savent que l'on doit "présenter" les vers comme on présente une bague, dans un écrin.

Vous ne vous imaginez donc point que Sodome n'est pas et ne sera jamais pour les marchands de brioche ? N'en faites pas, de grâce un bouquin épicier.

J'espère donc en votre promptitude et en votre goût.

Au revoir, Chevalier des Éditeurs et à très bientôt. Fersen".

2. Lettre autographe signée de 1 p. in-12 (17,8 x 13,2 cm) rédigée à l'encre noire sur un feuillet à en-tête fleuronné :

"Hotel Quisisana [Capri] / 16 avril 1906

Dites-moi, cher Monsieur Messein, qui devenez mon ami, je compte sur vous (faut-il?) pour m'envoyer à Capri toutes choses sur le bouquin ou à mon nom.

Je vous prie, d'autre part, d'expédier à Miss Baker, care of Cook and co. Florence (Italie) un exemplaire. Mille choses choisies.

Adelswärd-Fersen".

Patricia Marcoz, Le Ganymède incertain d’un militant homosexuel de la première heure : Jacques d'Adelswärd-Fersen, Presses Universitaires de Paris 10, collection Littérature et poétique comparées, pp. 217-229