LIMBOUR (Georges)

Deux lettres adressées à Maurice Nadeau

s.d. [janvier 1970] 

2 LAS de 2 pp. et 4 pp. respectivement, au format in-8 (21 x 13,5 cm) rédigées à l'encre noire

Deux lettres autographes signées adressée par Georges Limbour à Maurice Nadeau à propos de l'article consacré à L'Entretien infini de Maurice Blanchot que Nadeau avait publié dans la Quinzaine Littéraire.

Dans la première, teintée d'humour, Limbour adresse ses vœux à son correspondant, évoque son séjour de soin à la Roche-Posay et livre un lapidaire commentaire sur L'Entretien infini de Maurice Blanchot.

Dans la seconde, argumentée et pleine de tact, Limbour précise qu'il n'avait alors pas lu l'excellent compte rendu qu'en avait fait Nadeau dans la Quinzaine et précise son jugement afin de dissiper un éventuel malentendu.

Transcriptions :

LAS de 2 pp. in-8, sur papier à en-tête de l'Hôtel Thermal St-Roch à La Roche-Posay :

"9 janvier [1970] / Chère Marthe et cher Maurice, 

Je vous envoie mes meilleurs vœux pour l'année qui s'approche, elle s'est même déjà pas mal rapprochée. Je m'en aperçois : il n'y a pas si longtemps qu'on la voyait venir, de face et maintenant s'éloignant, elle commence à montrer son dos. J'espère que la santé de Marthe s'est améliorée et qu'elle est sortie de sa fatigue. Je voulais vous téléphoner en décembre, mais j'ai commencé par avoir une forte grippe. J'ai évité d'en avertir les amis car un intrépide étant venu, malgré moi, me visiter l'a aussitôt ramenée à son épouse, et une dame qui m'avait apporté quelques gâteries a remporté son panier suffisamment garni pour aliter promptement ses amies, et elle-même. Ensuite j'ai traîné misérablement comme un pauvre vieux chinois privé des pensées de Mao. Je suis donc venu ici me faire soigner dès le 1er de l'an 70 (c'est un nom de guerre qui ne me plait guère); on m'a plongé dans un irrésistible sommeil, dont je commence à sortir. Je suis tout de même poursuivi par un sale chinois (du Formose), car allant mieux je me propose une lecture, de votre Blanchot et je tombe sur le dialogue initial, l'Entretien infini je crois. Que de gens fatigués ! Voilà la fatigue qui prend maintenant un masque symbolique, visage métaphysique, grand air énigmatique de profonde pensée. Mais je vais limiter cet entretien en reprenant mes vœux (infinis) qui n'étaient pas terminés, car il n'y avait encore rien pour Maurice. Ca y est. Ajoutez des souhaits pour Claire. Je vous téléphonerai à mon retour, et que la date soit passée ou non, je vous embrasse. Limbour". 

LAS de 4 pp. in-8 :

"Paris samedi Mon cher Maurice, Comme vous êtes à la maison de campagne aujourd'hui - et que je suis impatient de mon histoire, je vous écris. Je suis rentré hier soir, et j'ai retrouvé sur ma table la Quinzaine L. que j'avais achetée le 2 janvier et que j'avais oubliée sans l'avoir regardée.

Mais à la Roche P. après vous avoir écrit, je me souvenais d'avoir parlé dans ma lettre de "votre Blanchot. En général ce "votre" est péjoratif, et je regrettais de l'avoir laissé passer, car dans mon esprit il ne l'était ni pour lui ni pour vous, c'était - pour moi - un rappel, que vous ne pourriez certainement pas bien interpréter, de son morceau paru dans les Lettres Nouvelles, avec ceux de Mascolo etc., à propos de la fin du Comité Étudiants-Écrivains. Je ne pouvais rien vous écrire d'hostile à Blanchot, - et en effet, je venais d'aller à Poitiers acheter L'Entretien infini, parce que c'est un écrivain dont je ne suis pas toujours les intentions ou idées, mais dont j'admire l'extrême agilité d'esprit, la rigoureuse et fortiche dialectique et la subtilité du langage, qui a un charme difficile mais fascinant.

En rentrant hier soir, je retrouve donc la Quinzaine sur ma table et j'y vois votre très bon - car cela doit être salement difficile à écrire, et je ne m'y risquerais pas - article sur Blanchot, et sans même ôter mon pardessus ni mon chapeau, (ce qui n'était pas très respectueux) je le lis, très impatient de connaître comment dans les propos vite finis d'une page limitée vous allez saisir "l'infini de cet entretien".

Ce qui pendant cette lecture et après, provoquait mon anxiété, me donnait une angoisse - non existentielle ou d'autre Bataillerie ! pas du tout métaphysique mais vieille et simple comme les âges - était qu'alors vous aviez pu vous faire des idées malsaines et à moi fort préjudiciables sur ma lettre, et croire que lorsque je vous écrivais j'avais déjà lu votre article, et qu'alors ce "votre" Blanchot, affectueux et même généreux somme toute, mais vague et maladroit, était une sorte de moquerie à l'égard de cet article, et du livre de Blanchot, que j'avais l'air de vous prier de garder pour vous. Vous voyez qu'il n'en était rien. D'ailleurs si je m'en souviens bien, ce que je disais du premier dialogue où il y a des partenaires fatigués, n'était qu'une boutade, et une sorte d'humour, pas noir certes, mais précisément fatigué, vu que j'étais encore en état défectueux.

J'ai senti donc ce hier soir, le chapeau encore sur la tête, qu'il était urgent que je dissipe ce petit - mais pourquoi pas grave ? malentendu possible qui aurait pu se produire, car je sais bien qu'un petit rien, un seul petit mot comme "votre" peut résonner dans l'esprit et prendre une certaine ampleur, qui ébranle un peu ou assez l'amitié.

Cette petite histoire prouve à quel point il faut se méfier dans les lettres hâtives. Ensuite il y a toujours ou souvent quelque chose à rattrapper (sic). Hélas ! c'est toujours, en dehors des lettres, qu'il y a quelque chose à rattrapper (ortho ?) Peut-être les plus grands danseurs font-ils des faux pas dans le métro ? (mais alors pour eux, c'est plus grave, ils se cassent la cheville, et ils ne pourront plus faire de bonds.

J'espère qu'il n'y a plus, malgré tout, quelque chose à rattrapper dans cette lettre, et en attendant de vous téléphoner, je vous envoie ainsi qu'à Marthe mes amitiés.

Giorgio

Sacré Dieu !  Si ! il y a quelque chose à rattrapper ! O infâme et ignoble oubli ! Depuis Cuba on se tutoie et je t'allonge du vous et pourquoi pas du Monsieur ? Il n'y a qu'une explication plausible ; les psychanalystes diraient que je suis amoureux de Marthe et que je la comprends avec toi, vous jugeant inséparables. Enfin, rectifie et dis-toi que ce "vous" nous rajeunit de quelques ans.".

On joint trois lettres autographes signées d'Andrée Limbour, la sœur de Georges, formant un ensemble de 5 pp. 1/2 au format in-8, adressées à Nadeau après le décès de son frère survenu le 17 mai 1970 dans lesquelles il est question de ses obsèques, du numéro des Lettres Nouvelles de mai 1971 rendant hommage à Georges Limbour et de la publication prochaine d'un recueil poétique posthume chez Gallimard (i.e. Soleils bas suivi de Poèmes, contes et récits (1919-1968), paru en mars 1972).

300 €